« Les agresseurs ont une stratégie, ils choisissent leur victime »
Pour mieux protéger les femmes et les enfants victimes de violences, il faut aussi s’intéresser aux profils des auteurs, à leurs mécanismes psychologiques de déresponsabilisation.
Les violences sexuelles ou conjugales ne sont pas le fruit de pulsions. « Les agresseurs ont une stratégie. C’est ce que nous avons compris après avoir écouté les témoignages de plus de 53 000 victimes », a expliqué hier Emmanuelle Piet, présidente du Collectif féministe contre le viol (CFCV), à l’occasion des treizièmes rencontres Femmes du monde en Seine-Saint-Denis.
Pour lutter contre la récidive, associations et institutions s’intéressent de plus en plus aux profils des auteurs. « Ils choisissent la victime, l’isolent et inversent la responsabilité », poursuit Emmanuelle Piet. Dans les écoles par exemple, les garçons commencent par colporter des rumeurs pour ternir la réputation de leur future victime.
Pour garantir le succès de leur version, ils imposent la loi du silence. « Un secret pathologique qui est une règle de coercition implicite, souligne Linda Tromeleue, psychologue, qui travaille en prison avec les agresseurs. Tous se déresponsabilisent. Il y a un déni ou une minimisation de l’acte commis. Elle va de paire avec une tendance à ne pas prendre au sérieux les décisions de justice. » Corollaire de cette stratégie de déresponsabilisation, la culpabilité est inversée et c’est toujours la victime qui est incriminée.
« Ils choisissent la victime, l’isolent et inversent la responsabilité », poursuit Emmanuelle Piet.
Pour traiter ces profils violents, il faut dénouer les fils du mensonge. Un vrai enjeu tant les autorités ont tendance à se faire prendre au piège. Des rapports de police, par exemple, suivent les récits des auteurs et parlent de « jeux devant les toilettes » ou de « bousculades » pour ce qui va finir en viol. Cet « effet hypnotique puissant » des auteurs de violences entraîne un « risque de collusion » qui peut être évité par un rappel de l’acte commis, explique Emmanuelle Piet. Il faut sans cesse rappeler le réel en reprenant jusqu’au vocabulaire utilisé. « Non, monsieur, il n’y a pas de bonne baffe. » Au service pénitentiaire d’insertion et de probation du 93, la même approche est adoptée pour un travail en groupe dans lequel les autres détenus sont les vecteurs du rappel à la règle. Mais le plus important reste d’agir dès l’enfance, car les agresseurs ont très souvent d’abord été des victimes. La plupart ont subi des violences graves, sexuelles ou non, l’abandon d’au moins un des parents, une majorité a vu son père frapper sa mère. « La genèse de la violence est là, analyse Emmanuelle Piet. Il faudrait vraiment protéger les enfants, faire des signalements et les prendre en charge. On sait le faire mais ça a un coût et les départements veulent diminuer les placements à l’aide sociale à l’enfance… »
Camille Bauer Journaliste rubrique Société . 24 novembre 2017
Lien : https://humanite.fr/les-agresseurs-ont-une-strategie-ils-choisissent-leur-victime-
Marie France Casalis Collectif Féministe Contre le Viol Viols-Femmes-Informations
Eléments spécifiques de la stratégie des auteurs de violences sexistes
Quels que soient la forme de violence exercée et le statut de l’agresseur (proche, inconnu), on retrouve des caractéristiques semblables dans la stratégie mise en place par l’auteur de violence à l’encontre d’une femme. D’abord il choisit, sélectionne, (séduit) celle qui deviendra sa victime, ensuite il organise l’agression ou les agressions en fonction de 5 priorités principales :
- Isoler la victime
Géographiquement, socialement affectivement, familialement, professionnellement…
- La dévaloriser, la traiter comme un objet :
humilier, dénigrer, critiquer, moquer, insulter, affaiblir, …avec la double conséquence : qu’elle ne répliquera plus
qu’elle perdra l’estime d’elle-même
- Inverser la culpabilité :
Transférer la responsabilité de la violence à la victime
Ne se reconnaître aucune responsabilité dans le passage à la violence
elle a provoqué, elle souhaitait que je fasse ça, elle m’a énervé,
Entretenir la confusion, l’embrouille : attitudes contrastées alternant avec périodes d’accalmie annonciatrices de redoutables orages….
- Instaurer un climat de peur et d’insécurité :
Se présenter comme tout puissant
User de menaces et en mettre quelques-unes en œuvre.
Représailles sur les proches….
- Agir en mettant en place les moyens d’assurer son impunité :
Recruter des alliés
Organiser une coalition contre les faibles
Prévoir d’impliquer la victime potentielle dans le déroulement des faits
lui offrir quelque chose, lui demander de l’aide, lui fournir de l’aide….
Verrouiller le secret.
Les décisions relatives à l’intervention sont facilitées lorsque l’analyse des faits met en évidence que plusieurs, ou toutes, ces caractéristiques sont présentes dans une situation : il s’agit bien de violence, c’est-à-dire d’actes volontaires qui portent atteinte à la personne. L’intervention qui suivra ne peut que se fonder sur la loi qui protège les victimes et sanctionne les auteurs.
Contrecarrer, contrebalancer, déjouer la stratégie de l’agresseur
Finalement, ce qui va guider notre intervention pour venir en aide aux victimes c’est tout simplement faire l’inverse de ce qu’a cherché à accomplir l’agresseur.
1. Il veut l’isoler : je me rapproche, je manifeste mon intérêt pour elle, je cherche le contact, je ne laisse pas le silence entre nous, je l’aide à repérer autour d’elle qui peut l’aider, la soutenir.
2. Il l’humilie, la traite comme un objet : je la valorise, je mets en exergue chacune de ses actions : elle est courageuse, elle cherche une solution, elle envisage des possibilités, je salue ses capacités : avec les enfants, dans son emploi, vis-à-vis de sa famille, dans son parcours de démarche etc… je l’invite à décider et je valide ses décisions,
3. Il la rend responsable de la situation : je m’appuie sur le droit, sur la loi pénale pour attribuer à l’auteur de violence la pleine et totale responsabilité de ses actes.
4. Il fait régner la terreur : je me préoccupe d’assurer sa sécurité tout en lui démontrant la dangerosité de son agresseur, je résiste moi-même à l’emprise de la peur et pour cela je fonde mon raisonnement et mes déclarations sur la loi qui sanctionne et réprime de tels agissements.
5. Il chercher à assurer son impunité en recrutant des alliés : je suis sur mes gardes pour ne pas, à mon corps défendant, être recrutée parmi ses alliés. C’est peut-être là le plus difficile de notre mission car l’ensemble de notre système culturel et social est du côté des agresseurs, du côté des forts, du côté des puissants. Il faut résister à nos réflexes ancestraux : déni de la gravité des faits, recours au fatalisme, paresse à affronter les personnes dominatrices et choix des procédures relevant davantage de la médiation, de l’accommodement, de la réciprocité.
Quand il y a violence : ce n’est plus le temps de la négociation mais le temps de la loi qui donne à chacun sa place et son statut : il y a une victime, il y a un agresseur. L’accueil et l’écoute des femmes victimes doivent être orientés pour soutenir leur déposition en justice en relatant les faits de façon circonstanciée et approfondie. Elle a besoin de tous nos encouragements pour y parvenir.