Texte lu à ma famille ( oncles, tantes cousins, cousines, parents, frère sœur )
Je traverse depuis quelques mois, une
période difficile. J’ai écrit un texte qui en fera le témoignage.
C’est un exercice difficile mais nécessaire pour moi, alors je vous
demande une écoute attentive.
C’est un texte qui dit ma vérité.
Ce n’est que la mienne, celle que je ressens. Il n’est pas fondé sur
le jugement ni pour obtenir justice ou réparation.
Une précision, ne soyez pas surpris, lorsque j’aurai terminé je sortirai de la pièce pour » récupérer » pendant 5-10 minutes. Et puis je reviendrai poursuivre la journée avec vous.
Je lui ai donné un titre
» je ne demanderai plus à mon garçon de se taire quand il siffle » .
Pendant quelques années, et ce, tous les mercredis, nous allions mon frère cadet et moi chez nos grand parents déjeuner puis passer 1 ou 2 h devant les sacro-saints dessins animés que proposait recrea2 puis le Club Dorothée. La vie cathodique là bas était en couleurs.
Le rituel était toujours le même : les devoirs le matin, puis vers 11:45, Yves (mon grand père ) arrivait à bord de sa 4l verte ou bleue suivant l’époque . Il la garait toujours au même endroit dans la cours.
Lorsque nous montions, j’avais déjà en tête, le moment que j’adorais : m’installer dans le canapé confortable et me laisser guider par des animateurs TV toujours gais et amusants.
Seulement voilà.
Il y avait plusieurs choses à accomplir avant cela : manger bien sûr, tenir un bout de conversion avec mamie. Mais la première étape était d’entendre Yves, demander à mon frère de descendre de voiture 500 m avant la maison et de poursuivre le chemin a pied tout seul.
Mon frère trépignait parce que ca semblait loin chez mamie , cela représentait un long trajet pour un garçon de 4 ans.
Ben oui, mais Yves avait un truc très important à me faire voir qui ne concernait que moi.
Une fois la portière arrière refermée, il me demandait de m’asseoir à l’avant car contrairement à mon frère, j’étais grande ( 6ans), et je valais cette haute reconnaissance.
De mon côté, je me résolvais à croire que d’obtempérer était une manière de protéger mon frère.
C’est quand il me demandait de retirer ma culotte que je me sentais une nouvelle fois et à chaque fois avec la même intensité, piégée.
Mais pourquoi à chaque fois je tombais dans le panneau avec autant de naïveté ?
Parce qu’enfant on a une solide
croyance en la magie de l’esprit » si je n’y pense pas, ça
n’arrivera pas » et parce que dès son arrivée sur le parking de
chez mes parents , mon cerveau capable de détecter le danger, se
tenait paralysé, comme un lapin aveuglé par les feux d’une
voiture ; Incapable de réagir, d’alerter mais capable de se
protéger en se mettant dans un état de pilotage automatique.
Ça
s’appelle la sidération : mon corps se déconnecte de mon esprit, de
mes affects, la situation étant trop stressante.
Au fil des ans,
la stratégie d’approche s’est modifiée. Le Club Dorothée n’avait
plus autant d’attrait pour moi. Mais l’emprise était toujours forte,
les lieux toujours les mêmes.
Les entrées de champs, les
granges, les bâtiments de ferme, le poulailler, le bosquet de
sapins bordant la route de chez eux, la voiture, une porte
derrière laquelle se trouvait mamie et qui pouvait nous surprendre,
étaient ses lieux de prédilection.
Cela a duré 10 ans avec
plus ou moins de régularité, mais de plus en plus de violence.
Et moi, il
y a encore un an, je ne me souvenais de ces lieux que des plafonds,
des toiles d’araignée sur des poutres, des branches d’arbres
comme le focus d’un appareil photo où le reste de l’image est floue.
C’est la démonstration de comment se manifeste la sidération et la manière dont le cerveau se protège en se retirant de la réalité trop insoutenable.
Cet automne, j’ai appris à laisser remonter ses souvenirs, à les apprivoiser, à les faire exister pour de vrai ; pour qu’ils ne soient plus une vague impression innommable de malaise.
J’ai re-senti ses odeurs : de vieux, de ferme, de sueur et de vin. J’ai ressenti avec la même violence qu’à l’époque, les brûlures que me procuraient ses mains sur ma peau, le dégoût vomitif du mouillé de ses baisers, la douleur sur mon sexe et ma poitrine de ses doigts froids aux ongles sales, et aussi, le son insupportable de ses sifflements tremblotants.
J’ai ressenti de nouveau de la culpabilité d’être l’objet de disputes entre mamie et lui quand on rentrait après mon frère, la culpabilité de m’être persuader que, finalement ce n’était pas sa faute à lui, c’était bien parce que mamie ne voulais plus, comme il me disait. Mamie le savait mais se taisait. Son silence justifiait à mes yeux, que la situation était normale bien que secrète. J’ai de nouveau ressenti, l’humiliation de ne pas m’être enfuie lorsque il démontrait à son voisin qu’il était maître chez lui et pour preuve, « regarde comme elle est docile celle ci ! « ( Il me masturbait devant les yeux certainement sidérés eux aussi du voisin), la culpabilité d’avoir cru être l’Elue, la seule, la culpabilité de détester ces moments privilégiés. Et celle de n’avoir pas pu protéger mon frère et ma sœur. Je l’apprendrais plus tard qu’ils ont aussi été ses victimes.
C’était il y a 30 ans, et pourtant les sensations, les ressentis si bien planqués pendant toutes ces années sont revenus avec la même violence, intacts.
C’est la résurgence de la mémoire traumatique.
Durant cette année comme durant mon enfance, j’ai eu une envie imminente de fuir, d’être introuvable, j’étais sur le qui-vive. J’ai éprouvé cette peur intense de mourir, une suffocation incontrôlable, un dégoût de moi même jusqu’à ne plus vouloir me regarder dans un miroir ou de me laver, la honte de ne pas avoir pu crier, la certitude que je n’avais pas de suffisamment de valeur pour être secourue. J’ai aussi éprouvé de la souffrance et de la colère que mes parents ne prennent pas le temps ou n’ait pas le courage d’entendre mes appels à l’aide.
J’ai eu du mal à parler de tout ça, avec détails, à mon thérapeute ( et en fait, a moi même) car la salissure, les menaces d’effondrement, les menaces de mort si les mots sortaient, résonnaient encore profondément en moi.
Ça s’appelle le conditionnement qu’exerce l’agresseur sur sa victime et qui persiste au delà de l’âge et même au delà de la mort de l’agresseur.
Alors, aujourd’hui, je vous livre mon vécu le plus intime comme un cadeau très cher payé, un acte d’amour et de confiance parce que malgré vous, il vous appartient aussi.
La nature de Yves, sa propre enfance, sa filiation avec son propre grand- père qui ne sortait plus de son lit clos mais qui dormait avec un de ses petits enfants chaque nuit, l’ambiance qu’il a fait régner sur la famille, la manière perverse dont il régentait les relations ( les chouchous, les vaux rien) les manipulations affectives ( humiliation) , l’emprise physique et psychologique ( l’inceste, le secret) n’était là que pour qu’il puisse régner en maître, en patron, en propriétaire des personnes comme de simples objets.
Ce malaise flou, cette odeur moite de renfermé, cette peur de parler vrai, cette peur d’être en conflit au risque que les liens s’effondrent (au détriment parfois des enfants) sont peut-être des sensations ou des attitudes que vous observez ou que vous éprouvez.
Je viens donc, vous faire et me faire la démonstration que ces peurs de parler des choses qui fâchent, ne sont pas vraiment réelles (regardez bien le plafond, il ne s’effondre pas), elles sont juste imposées par Yves et finalement peut être par nous même.
Ceci nous donne la liberté de couper ce lien toxique, en étant conscient de notre histoire, et d’arrêter le système incestueux et le secret. Car le secret ne protège personne. Et j’en suis la preuve.
J’ai fait l’expérience auprès de certains d’entre vous, qu’au contraire, la parole renforce les liens lorsqu’elle est écoutée et échangée avec bienveillance.
Aujourd’hui, je vais un peu mieux. Je suis éprouvée mais je me sens moins coupable. Toutefois, mon chemin de la réparation n’est pas terminé car il me faut démonter une à une mes peurs, mes fonctionnements d’évitement, de protection, de colère avec lesquelles je me suis construite. J’apprends aussi à déjouer les pièges, des automatismes qui me remettent dans la position d’objet. ( cad de subir une situation que je ne souhaite pas ).
Je suis aussi triste que l’injustice ait touché notre famille. Car, en effet, c’est pas juste. Je regrette qu’il n’ait pas eu à répondre de ses actes criminels devant la justice et la société.
Un jour viendra, je l’espère, la résilience. C’est à dire la capacité à sublimer notre histoire pour que tout cette merde serve à être meilleurs envers nous même, aimer l’enfant que nous étions, protéger les enfants d’aujourd’hui.
Pour qu’elle nous donne l’opportunité d’élargir notre connaissance de l’Humanité, et finalement d’approfondir notre connaissance de nous même dans toutes ses aspérités.
Liberté, honnêteté et intégrité, sont ce à quoi j’aspire.
Je n’en suis pas là. J’y travaille petit pas par petit pas. Aujourd’hui j’en fais de plus.
Pour que, par exemple, le sifflement de mon fils de 8 ans ne m’agresse plus les oreilles de façon disproportionné ; parce que la source de l’agression est identifiée, digérée et replacée au bon endroit.
Ça passe par, je l’ai dit la parole et l’écoute mais aussi par l’empathie, la bienveillance , le respect et une grosse dose d’humilité.
C’est ce que nous expérimentons en ce moment.
Mon texte, à présent, vous appartient, je vous le donne.
Vous pouvez en faire ce que vous voulez : vous le mettre sur le coin de l’oreille, le réserver pour le dessert, l’enfouir au fond de votre poche ( avec un grand mouchoir à carreaux par dessus), vous permettre de prendre le temps de le digérer : ce n’est pas parce qu’on dit rien, qu’on éprouve rien. Il faut juste être attentif de ne pas se remettre dans le système du secret et du déni.
Vous pouvez aussi l’utiliser ( et j’en suis d’accord) comme une base pour vous exprimer ici ou ailleurs, pour échanger sur ce que vous en avez compris, pour échanger sur ce qui vous fait résonnance.
Je terminerai par une citation de John Campbell qui me donne du courage et j’espère qui vous en donnera aussi :
« La cave dans laquelle vous avez le plus peur d’entrer est celle qui détient le trésor que vous recherchez. »
Merci de m’avoir écouté jusqu’au bout.
M
Le 5/01/2019
Festen
Festen
Film de Thomas Vinterberg sorti le 23 décembre 1998 » Tout le monde a été invité pour les soixante ans du chef de famille. Christian, le fils aîné de Helge, est chargé par son père de dire quelques mots, au cours du dîner, sur sa soeur jumelle, morte un an plus tôt. Tandis qu’au sous-sol tout se prépare avec pour chef d’orchestre Kim, le chef cuisinier, ami d’enfance de Christian, le maître de cérémonie convie les invités à passer à table. Personne ne se doute de rien, quand Christian se lève pour faire son discours et révéler de terribles secrets. » en VOD