Témoignage dans le Quotidien Le Télégramme
« Je ne sais pas exactement à quel moment mon beau-père a commencé à abuser de moi. Vers 11 ou 12 ans, je crois, jusqu’à mes 14 ans. Ce sont des choses dont on ne veut pas se rappeler », expose Delphine. Elle qui n’a jamais connu son père biologique (« un homme alcoolique et violent ») redoute sans cesse de se trouver seule dans la même pièce que son beau-père. « Quand ça se passait, j’espérais que quelqu’un arrive. Parce que, parfois, il y avait du monde dans la maison. Toutes les occasions étaient bonnes pour me toucher. J’avais 12 ou 13 ans, il m’a demandé de le masturber, je ne savais même pas ce que c’était », se souvient-elle, en clignant plus rapidement des yeux. « Le pire, c’est qu’il m’a donné de l’argent certaines fois ».
Je cachais parfaitement bien ce qui m’arrivait. C’est facile de cacher, c’est une question de survie.
Elle n’en dort plus de la nuit, arrive au collège avec le contour des yeux complètement noir. « Un professeur se demandait si je ne prenais pas des coups mais personne ne s’est jamais interrogé sinon. Je cachais parfaitement bien ce qu’il m’arrivait. C’est facile de cacher, c’est une question de survie ». À l’époque, elle confie ce dont elle est victime à seulement deux personnes : sa meilleure amie et l’adolescent qui deviendra son mari des années après. « J’avais peur de parler, que l’on ne me fasse me sentir encore plus coupable. Qu’on me dise, « si t’en as pas parlé, c’est que tu aimes ça ». Et c’était aussi pour préserver la famille ».
« Je buvais une bouteille de whisky tous les deux jours »
Les années passent. Les actes incestueux ont cessé, le mal-être et le silence demeurent malgré la bienveillance de son mari, qui arrête de travailler pour rester à ses côtés. Jusqu’à ce que l’un des quatre enfants de Delphine, un garçon, ne manifeste des signes de refus à l’idée d’aller chez ses grands-parents. « Quand j’ai vu ça, ça a été un déclic. Il n’a plus voulu y retourner du jour au lendemain, sans vouloir dire pourquoi et alors que ça ne lui posait pas de problème d’aller ailleurs ».
La jeune femme intègre alors le groupe de parole Le Monde à travers un regard, à Châteaulin, avec l’optique de déposer plainte. Elle écrit une lettre au procureur, qui l’aiguille vers une gendarme formée aux violences sexuelles. « À ce moment-là, j’étais dans un état…. Je buvais une bouteille de whisky tous les deux jours, je ne dormais pas, je ne mangeais pas. J’y suis allée avec mon mari. Avant de me retrouver devant la gendarme, je n’avais qu’une envie, c’était de m’enfuir ».
« Ce passé est en moi »
Le dépôt de plainte fait pourtant office de libération car « chaque victime a besoin d’être reconnue comme victime ».
Il a aussi eu cette phrase terrible : « Toutes celles qui se font violer disent toujours qu’elles ne sont pas coupables ».
Quelques jours avant, elle avait fait face à son beau-père et à sa mère, pour leur dire sa vérité. « Mon beau-père m’avait, dans un premier temps, assuré qu’il allait en parler à ma mère. Puis il a changé de comportement, il a essayé de me faire culpabiliser en me disant que si ma mère se suicidait, ce serait de ma faute ». Il a aussi eu ces mots terribles : « De toute manière, toutes celles qui se font violer disent toujours qu’elles ne sont pas coupables. Ta soeur n’en a pas fait toute une histoire ».
Le chantage, doublé d’un aveu, se révèle inopérant. Aujourd’hui, le contact est rompu avec une grande partie de sa famille mais la vie est plus facile pour elle, près de ses enfants et de son mari, « un partenaire bienveillant, qui fait passer nos sentiments avant ses envies. Heureusement, parce que c’est dur d’avoir une sexualité normale après tout ça ».
Delphine le sait, elle reste « vulnérable. J’ai grandi comme ça. Ce passé est en moi et le futur sera toujours incertain ». Reste tout de même la sensation « d’avoir remis le monde à l’endroit ».
- prénom changé
Extrait du quotidien Le Télégramme du 15-12-2018 Le Monde à travers un regard
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