La première fois
En façade, les familles semblent unies et irréprochables. Le lieu qui protège devient celui du danger. La famille est une menace. Deux tiers des violences sexuelles ont lieu dans les familles. Ça commence par un regard. Une main glissée dans le dos, entre les cuisses, dans la culotte puis sur le sexe. L’interdit universel est transgressé. La mécanique incroyable se met en place et se répétera pendant plusieurs années. « Si tu parles je te tue », « je ferai de toi ce que je veux ! », « où que tu ailles, je te retrouverai !» L’agresseur, par intimidation, domination, ou par manipulation affective et psychologique, impose ses règles destructrices physiquement et psychologiquement. L’enfant vulnérable, dépendant et sans défense est agressé. Il est tétanisé, sidéré et pétrifié. Il est sous l’emprise de son agresseur. L’enfant perd tout repère.
Comment la victime survit-elle ?
Quelles différences existe-t-il entre un accidenté de la route polytraumatisé et une victime de violences sexuelles ? Aucune. L’un et l’autre ont besoin de soins. Les victimes de violences sexuelles sont polytraumatisées psychiquement et neurologiquement. Selon la docteure Muriel Salmona, psychiatre psychothérapeute, « ces troubles psycho-traumatiques sont générés par des situations de peur et de stress extrêmes provoquées par les violences ». Ces violences sexuelles sont tellement terrorisantes, sidérantes, incompréhensibles, qu’elles vont pétrifier le psychisme – le mettre en panne – de telle sorte qu’il ne pourra plus jouer son rôle de modérateur de la réponse émotionnelle. L’agressé se sent émotionnellement et physiquement anesthésié alors que les violences continuent. L’agressé devient spectateur en étant « en dehors » de son corps. Ce mécanisme de survie s’appelle la dissociation. La dissociation peut parfois s’installer de manière permanente donnant l’impression de devenir un automate, d’être dévitalisé, déconnecté, anesthésié, confus, un mort-vivant.
Pour survivre, la victime oublie ses traumatismes. Ils sont occultés. Marie avoue qu’elle a appris à vivre avec ce secret « je l’ai apprivoisé ». Dans sa mémoire, les agressions n’existent plus. La victime perd la mémoire des atrocités vécues. Le traumatisme a été effacé. La victime est dans un état dissociatif. L’esprit se déconnecte du corps. La dissociation est une façon de faire face aux situations indéniablement traumatiques en permettant à la personne de se détacher de la réalité de la situation.
Les mécanismes de survie sont de deux ordres. S’ils sont négatifs, ils correspondent à toutes les formes d’addiction : alcool, sexe, drogues, jeu, dépenses compulsives, travail, nourriture, automutilations, sadomasochisme, déni, bagarres, violence, évitement. En revanche, s’ils sont positifs, ils correspondent à divers arts : chant, peinture, dessin, écriture, lecture, danse, photo… Inconsciemment, la victime met en place divers mécanismes psychiques notamment le déni (mécanisme psychique qui implique un refus inconscient de la réalité). « On a coulé du béton pour ne plus être submergé par ces réminiscences» raconte Nadia mais « il se fissure et les souvenirs resurgissent brutalement » ajoute-t-elle. 10 ans, 20 ans, 30 ans se sont écoulés et le temps du déni s’achève pour certains. La mémoire est retrouvée. « On se demande si on n’est pas folle. Les souvenirs reviennent par flash et c’est fulgurant » explique Nadia. Il faut trouver la force de parler et pour certains c’est le moment d’affronter leur agresseur. Beaucoup d’enfants agressés parlent des années après, quand ils ne subissent plus la pression de leur agresseur. Les enfants victimes pensent, à tort, qu’ils ont séduit leur parent incestueux.
L’entourage complice ?
Les violences sexuelles dans l’enfance n’affectent pas seulement les victimes, mais peuvent aussi affecter leur entourage. Parfois, le dysfonctionnement familial n’est d’ailleurs pas seulement une conséquence de ce traumatisme, mais un facteur de risque préexistant : violence domestique, reproduction trans-générationnelle, contexte d’addiction, de maladie mentale, ou d’antécédents judiciaires.
Mais pour quelles raisons, dans certaines familles, les proches de victimes ne voient-ils rien ? « Le silence du clan familial est insoutenable » selon Annie. Voir, ce serait admettre qu’il existe un problème très grave dans sa tribu. Ce serait accepter que la famille vole en éclat. L’enfant apprend à vivre avec son secret et comprend que s’il parle, il ne sera pas cru. « Je sais quoi lui dire à ta mère si tu parles, elle ne te croira pas! ». Son agresseur a fait du chantage au suicide ou a expliqué à l’enfant que c’était lui le coupable : « ne dis rien à ta mère, sinon je te tue et je me tue après, je n’ai rien à perdre ! ».
Combien de fois la victime a-t-elle entendu cette injonction « il faut oublier », de la part de sa famille ou de son entourage. Comment l’enfant ou le jeune adulte peut-il « passer à autre chose » ? Quand les victimes entament des démarches judiciaires, le procès constitue un premier pas vers la reconstruction. Certains n’auront jamais l’opportunité de s’exprimer devant des juges. D’autres ne franchiront jamais la porte d’un commissariat ou d’une brigade de gendarmerie. Et quand ils ont enfin la force de dénoncer l’horreur, l’action de la justice est souvent prescrite ou l’auteur décédé.
Le rôle positif de la parole
Parler c’est briser le silence qui entoure l’inceste ou la pédocriminalité, alors que le silence en est son socle et son terreau. Parler c’est aussi mettre en doute la moralité d’une personne de la famille. Révéler un inceste s’accompagne de souffrances, de doutes, de honte mais qui seront salutaires pour la victime. Mettre des mots sur ces actes s’avère une véritable épreuve. Certaines familles prennent de la distance avec l’agressé et préfère lui tourner le dos car la vérité est difficile à entendre. Pourtant, parler assainit, sur le long terme, la famille et les générations futures, chassant les effets toxiques du non-dit et du secret qui empoisonnent la famille sur plusieurs générations. Lors de la révélation, les non-dits ou secrets de famille éclatent. La victime en parlant rend service à l’ensemble de la famille « ça a été un soulagement d’enfin comprendre ce qui se passait » rapporte Geneviève – mère d’une victime et cela évite la transmission et le risque de contamination sur les générations futures. Parler c’est trouver le courage de verbaliser sa souffrance. C’est faire le choix de vivre et d’exister. La victime, rescapée de l’inceste, va essayer de se reconstruire.
Aude Fievet
Bonjour je voudrais rejoindre un groupe de parole (si possible en virtuel) de parents dont les enfants ont été victimes d’inceste