
Par Elsa Crozatier, Avocate. article de 2025
Indemnisation des victimes d’infractions : une expertise privée, plus favorable que l’expertise judiciaire, entérinée par la CIVI.
Une Commission d’indemnisation des victimes d’infractions (CIVI) entérine les conclusions d’une expertise privée bien plus favorable à la victime que l’expertise judiciaire (ex : SE cotées 4/7 au lieu de 3/7 ; DFP de 35% au lieu de 25% …).
Par une décision du 17 octobre 2024 (CIVI Pontoise, 17 octobre 2024, RG 23/00486) aujourd’hui définitive, la CIVI de Pontoise a fait droit aux demandes d’indemnisation des préjudices subis par le client en se basant sur un rapport d’expertise privé qui majorait de manière significative les évaluations faites par l’expert judiciaire.
La CIVI a retenu qu’une expertise privée versée aux débats peut parfaitement servir de base au juge pour évaluer les préjudices subis par la victime.
Faits.
Alors qu’il participait à un barbecue avec des amis, un jeune homme de vingt ans était victime d’un tir de flashball. Il était touché au niveau de l’œil droit. Quelques jours après l’accident, il perdait finalement la vision de cet œil.
Le fonctionnaire de police à l’origine du tir était condamné par le Tribunal correctionnel pour violences volontaires aggravées ; par ailleurs, le tribunal ordonnait une expertise afin d’évaluer l’ensemble des préjudices subis par la victime.
Le jeune homme se rendait seul à l’expertise, sans être accompagné ni par un avocat ni par un médecin-conseil.
Un cabinet était saisi plusieurs années après le dépôt du rapport d’expertise.
La production en justice d’une expertise privée.
Le rapport apparaissant lacunaire, n’ayant notamment pas retenu certains postes pourtant objectivés et objectivables, ou minimisant certains autres postes de préjudices, il était demandé au médecin-conseil d’établir un rapport d’expertise privé.
L’avocat conseil de la victime a donc saisi en indemnisation sur la base de ce rapport d’expertise privé. Le Fonds de garantie basait quant à lui sa proposition indemnitaire sur la base du rapport d’expertise judiciaire, sans contester pour autant la valeur probante du rapport privé.
C’est ainsi que par décision du 17 octobre 2024, aujourd’hui définitive, la Commission d’indemnisation des victimes d’infractions de Pontoise a considéré que pour évaluer les préjudices subis par la victime, il convient de retenir aussi bien l’expertise judiciaire que l’expertise privée au motif que :
« Les conclusions de l’expertise judiciaire ordonnées par le tribunal correctionnel ainsi que la note du Dr N., versées aux débats, non contestées par le Fonds de Garantie, reposent sur un examen sérieux de la victime et mérite de servir de base à l’évaluation du préjudice subi par celle-ci ».
La CIVI a ainsi majoré de manière significative les évaluations faites par l’expert judiciaire en s’appuyant sur l’argumentation du médecin la victime notamment :
- les souffrances endurées sont passées de 3/7 à 4/7, considérant que ce quantum est « plus adapté au regard de la nature et la durée des souffrances endurées ».
- le déficit fonctionnel permanent est passé de 25% à 35% considérant que « il convient de relever que le taux de déficit fonctionnel permanent de 25% fixé par le docteur F, ophtalmologiste, correspond à la seule perte fonctionnelle d’un œil. Afin de tenir compte également des migraines persistantes, du retentissement psychologique et de l’ensemble des répercussions sur les activités de la vie courante relevée par les experts, il sera justement retenu un déficit fonctionnel permanent de 35% ».
- l’assistance par tierce personne, rejetée par l’expert judiciaire, a été retenue par la CIVI et ce pendant une année entière. La décision étant motivée comme suit : « au regard de l’état psychologique du requérant suite à son hospitalisation ayant nécessité la présence et l’assistance quotidienne de sa famille et notamment de sa mère pour l’état cherche quotidienne les repas et les soins de l’œil et de son tympan ».
Cette décision est une grande victoire : elle a permis de solliciter une indemnisation intégrale de ses préjudices qui ont été plus justement indemnisés.
Il est malheureusement trop rare que les magistrats acceptent de s’écarter des conclusions de l‘Expert qu’ils ont eux-même désigné…
Aussi, il doit être rappelé, quand nécessaire, que l’article 246 du Code de Procédure Civile dispose que :
« Le juge n’est pas lié par les constatations ou les conclusions du technicien ».
(CIVI Pontoise, 17 octobre 2024, RG 23/00486)
Elsa Crozatier, Avocate à la Cour, droit du dommage corporel
Barreau de Paris
Votre avocat doit demander une expertise psychiatrique et une évaluation des préjudices conformément à la nomenclature Dintilhac, et non un forfait. |
Par Carine Durrieu Diebolt, Avocat – Article de 2016 –
Après la condamnation pénale et la reconnaissance du statut de victime vient la réparation judiciaire via l’évaluation du préjudice et l’indemnisation.
La faible prise en compte des composantes spécifiques de certaines infractions :
Pourtant, en droit, l’importance de ces préjudices est difficile à faire admettre et à indemniser, malgré le principe de la réparation intégrale.
Pour exemple, viols sur un enfant de 7 à 10 ans par un adulte ayant autorité : forfait de 23.000 euros par la cour d’assises, enfant de 3 ans indemnisé pour maltraitance : forfait de 9.000 euros…
Par rapport à d’autres contentieux en dommage corporel, comme les accidents médicaux, ces indemnisations sont très faibles.
L’évaluation des préjudices en droit s’opère selon la nomenclature « Dintilhac » qui distingue les postes de préjudices patrimoniaux (frais matériels, perte de revenus et préjudice professionnel, préjudice scolaire, tierce personne pour pallier une perte d’autonomie…) et les préjudices extra patrimoniaux (souffrances endurées à titre provisoire, préjudice esthétique provisoire, déficit fonctionnel incluant les souffrances à titre définitif, préjudice sexuel, préjudice d’établissement…).
Cette liste n’est pas limitative et rien n’empêche l’avocat de présenter un préjudice plus spécifique.
Depuis peu, on recourt moins systématiquement au forfait pour évaluer le préjudice des victimes de violences, ce qui tend à une meilleure reconnaissance des dommages.
Mais, les réticences à reconnaître l’ensemble des préjudices persistent ; par exemple, la tierce personne est difficile à faire admettre en cas de viol ou violences conjugales : lorsque la victime, traumatisée, est dépressive et ne peut plus exercer les actes de la vie quotidienne, sortir, s’alimenter normalement, si elle développe des phobies alimentaires, vit sous l’emprise de l’alcool et devient dépendante de ses proches…
Il s’agit bien d’une perte d’autonomie qui doit être prise en compte au titre de la tierce personne. La Cour de cassation admet qu’un état de stress post traumatique ne se réduit pas à un préjudice moral et peut entraîner une invalidité, même en l’absence de blessures physiques (Cass crim, 21 oct 2014, n°13-87669). Cette invalidité qui peut se traduire par des peurs, névroses ou dépressions, exigent la présence de tiers aux côtés de la victime pour l’assister dans les actes de la vie quotidienne qu’elle ne peut plus faire et cette assistance doit se traduire, juridiquement, en termes de tierce personne.
Les troubles psycho traumatiques de la victime peuvent se soigner mais pour se soigner, il faut restituer les faits dans l’ordre des responsabilités (l’agresseur n’avait pas le droit) et reconnaître les dommages causés.
Vers de nouveaux postes de préjudices ?
A cette ultime étape de la reconnaissance des préjudices subis par la victime, les connaissances des avocats spécialisés en dommage corporel ont un rôle déterminant ; présenter une demande forfaitaire à 20.000 pour des faits d’inceste, c’est nier la réalité des préjudices subis, les conséquences durables du psycho traumatisme vécu par la victime.
De nouveaux postes de préjudice, qui prennent en compte la particularité de ce type de contentieux émergent : les préjudices permanents exceptionnels. Il s’agit de préjudices qui ne sont pas intégrés dans d’autres postes comme par exemple les souffrances endurées et prennent une résonance particulière soit en raison de la nature de la victime, soit en raison de la nature ou des circonstances du fait générateur.
Ainsi, de nouveaux postes de préjudices sont plaidés :
- D’un préjudice exceptionnel de mort psychique ou de culpabilité spécifique aux violences sexuelles :
La spécificité des viols c’est le sentiment d’être sali, de honte, de culpabilité. Contrairement à d’autres violences, la victime se rejette.
Certains auteurs utilisent le concept de traumatisme mortifère, ou de mort psychique ou de mort réelle au sens de LACAN ; tous ces concepts décrivant la mort d’une partie de soi, la perte de son intégrité, le trou noir.
Comme si l’agresseur avait pris une partie de la victime ; l’avait dépossédée, ce qui est très spécifique aux viols (d’ailleurs on dit « posséder » une personne). Elles sont chosifiées.
- Du préjudice exceptionnel d’acte intra familial qui est encore mal indemnisé. Exceptionnel à raison du lien familial avec l’auteur.
Souvent les victimes qui dénoncent des violences intra familiales sont rejetées par leurs proches, cause d’un désordre familial, d’une division qui leur est injustement reproché. D’où des sentiments mêlés de culpabilité et d’isolement. En outre, les repères structurants s’effondrent.
Il peut être intéressant de le plaider de manière autonome, au titre du préjudice exceptionnel, ce qui a déjà été admis par certains tribunaux mais de manière marginale et pour des indemnités toujours faibles (5.000 euros à 18.000 euros).
Le préjudice permanent exceptionnel intra familial peut conduire à une meilleure reconnaissance de la spécificité de ces drames.
Mais récemment (Cass civ 11 sept 2014, n°13-10691), s’agissant d’une tentative d’assassinat commise entre concubins, la Cour de cassation a considéré que les circonstances particulières et la résonance particulière de l’acte ne caractérisaient pas un poste de préjudice permanent exceptionnel distinct du préjudice moral déjà inclut dans le déficit fonctionnel permanent indemnisé