Cette semaine, j’ai été énervée. Toute seule, dans mon coin. Car le sujet est compliqué, tabou, difficile à évoquer. Cette semaine l’affaire Asia Argento a fait surface. Pour les personnes non au courant de l’histoire, cette actrice italienne, figure de proue du mouvement ME TOO, aurait violé un jeune garçon encore mineur il y a quelques années.
Sans prendre parti dans cette histoire, sans parler de ce mouvement, de l’idée intéressante du départ à ces dérives, ce qui m’a profondément choqué est la stupidité des ¾ des gens qui se sont exprimés sur le sujet sur les réseaux sociaux.
En cause? Une photo que la victime présumée aurait pris après le viol supposé, le montrant pas assez fracassé, pas assez en larmes. Pire! Il avait l’air de sourire.
Des commentaires délirants ont suivi « Il a pas une tête de mec violé », « s’il avait été violé, il serait parti en courant », et encore c’est le genre de commentaires le plus soft qu’on peut trouver.
Car oui, on peut aussi trouver des « si je pouvais me faire violer par cette bombe ca m’irait » ou « ce type est un menteur, se faire violer par une femme mature est le fantasme de tous les puceaux ».
J’ai pris conscience de l’ignorance totale de la population en ce qui concerne la définition même d’un viol, et aussi de la différence d’égalité des sexes face à ce type d’agressions (pour beaucoup, violer un homme n’est pas « anatomiquement possible »).
Actuellement, je suis moi même suivie en thérapie pour deux cas d’agressions sexuelles. Dans les deux cas, il s’agit de viols. Car, du point de vue de la loi, un viol concerne « tout acte de pénétration », donc cela concerne aussi bien une pénétration sexuelle, qu’un acte oral forcé, ou pénétration de doigts ou d’objets. Une de mes agressions relève d’un inceste dans mon enfance, et l’autre d’un viol à 18 ans par un ancien petit ami.
C’est sur ce cas que je souhaite témoigner aujourd’hui. Non pas sur l’agression en elle même mais sur lesyndrome de stress post traumatique qui a suivi. Ce SSPT, comme l’appellent les pros, je n’ai pu connaître le terme que récemment, soit 11 ans après, lors de ma thérapie EMDR.
Pour parler de ce SSPT, je cite le Dr Muriel Salmona, psychiatre psychotraumatologue, qui exprime très bien les tenants et aboutissants de ce trouble.
« Les traumatismes dus à des violences sexuelles… sont ceux qui entrainent le plus de conséquences psychotraumatiques.. avec 80% de risque de développer un état de stress post traumatique. …Ces symptômes sont pathognomoniques, c’est à dire qu’ils sont spécifiques et qu’ils sont une preuve médicaledu traumatisme ».
Donc importance capitale de la dernière phrase du Docteur. Il y a des preuves médicales du traumatisme! Un traumatisme ne se feint pas! Même si un viol reste compliqué à prouver, parce que la loi est mal faite, le viol mal connu et reconnu, et que les victimes ont du mal à faire le lien entre des symptômes et leur agression, on peut quand même se battre et prouver le SSTP. C’est médical. C’est à savoir.
Dans mon cas, pour reprendre l’affaire Asia Argento et les photos en questions: Après mon viol j’ai continué à parler plusieurs mois à mon agresseur. Car j’étais très amoureuse de lui. La distance géographique nous a empêché de nous revoir, sans quoi je suis certaine que je l’aurai revu et que j’aurai sans doute eu des rapports avec lui.
Qu’est ce qui fait que je n’ai pas, comme dans les films, fondu en larmes, filé à l’hôpital et au commissariat après mon viol (sachant qu’il y avait eu des coups portés juste avant)? Aucune idée. La seule certitude est que j’ai mis six mois à ouvrir les yeux.
Mes fameux symptômes de stress post traumatique eux par contre sont apparus directement après, sans que j’en fasse aucunement le lien. Auto mutilation, attitude nymphomane, troubles alimentaires renforcés, isolement, je me droguais aux médicaments que je volais à mon grand père, je passais mes journées à dormir.
Je n’explique pas non plus le déclic du mot « viol ». Mais un soir j’ai eu un doute. Sur Doctissimo, vous pouvez encore trouver mon témoignage dont le titre est « est que c’est un viol? ». J’étais tellement perdue que j’ai demandé à des inconnus (sur Doctissimo !!!) si j’avais été violée!
Car dans la mémoire collective, un viol, on nous apprend que c’est un inconnu, dans une ruelle sombre, le soir, alors que vous portez une jupe trop courte et que vous êtes alcoolisée. Alors du haut de mes 18 ans et dans la mesure où c’était mon « premier », j’ai douté.
Mon père aussi a douté, et certains de mes amis.
Ben oui, car ces symptômes tout pourris, ces cicatrices de mutilation etc, ca fait pas de vous quelqu’un de confiance. C’est comme si vous vouliez vous faire remarquer, en vous faisant saigner et vomir, alors après tout, vous êtes pas à un mensonge de viol près.
Sauf que vous, les haineux d’Internet, c’est justement à cause de votre vision de merde sur les agressions, qu’on préfère se tailler les poignets et se balancer d’un pont, plutôt que d’en parler et d’avoir affaire à des gens comme vous. J’estime aussi mon pays, mon gouvernement et les anciens qui ne se préoccupent pas de la question, COUPABLES! De ne pas éduquer, de ne pas communiquer, de laisser faire ce tabou, et de faire taire inconsciemment les victimes.
Pour le docteur Salmona, voici pourquoi, lors d’une agression, d’un viol, on NE PEUT PAS forcément réagir et certaines personnes peuvent même arriver à être complétement passives.
« un viol va avoir un effet traumatique immédiat en créant un état de sidération psychique… qui vaparalyser la victime et l’empêcher souvent de réagir… Un survoltage émotionnel survient alors entrainant unrisque cardio vasculaire et neurologique. Cette disjonction permet une anesthésie émotionnelle et psychique brutale.. mais elle est aussi à l’origine d’un état dissociatif (sentiment d’être spectateur de l’événement…)… »
Ces travaux, une mine d’or, évoquent aussi « des troubles de la mémoire », « des amnésies fréquentes » avec des conséquences graves et durables (cauchemars violents, troubles de la personnalité, troubles alimentaires, suicides, TOC, phobies, hypervigilance etc).
Donc stop, merde, à la vision primaire, dégradante et horrible que la société a pour les victimes de viol. Combien de victimes n’oseront jamais en parler, et préféreront se suicider, que de faire face à cette haine. Un violeur EST un violeur. Rien ne justifie cela, ni la longueur des jupes, ni l’âge, ni le sexe, ni l’heure de la nuit, ni l’alcool. Vous foutez en l’air des vies, c’est pas juste l’histoire d’une dizaine de minutes, c’est l’histoire d’une vie pour les victimes.
Je n’ai jamais évoqué mon viol, c’est mon hospitalisation l’an dernier qui m’a fait comprendre que je suis pas JUSTE une anorexique, mais que je suis d’abord une victime qui a développé une maladie inconsciemment pour faire diversion face aux divers traumatismes que j’ai subis.
J’ai longtemps culpabilisé de mon viol. Pendant l’agression, j’ai pleuré et j’ai dis « Non », mais je n’avais pas hurlé à la mort, comme on s’y attend. Après qu’il « eut fini son affaire » pourquoi n’ai je pas appelé quelqu’un, pourquoi j l’ai laissé me raccompagner, pourquoi j’ai pas fuis?
Aujourd’hui je n’ai pas toutes les réponses, mais je sais pourquoi je ne les ai pas. Notre cerveau nous protège. Il disjoncte, comme un tableau électrique quand on lui demande trop d’énergie. Il nous met en sécurité. J’ai l’image d’une petite souris qui face a un prédateur, décède d’une crise cardiaque. Notre cerveau nous empêche d’être cette souris. Au prix de bien d’autres symptômes horribles.
Aujourd’hui, je ne culpabilise plus. J’ai fait, mon cerveau a fait, on a fait ce qu’on a pu. Aujourd’hui, je traite la pelle de symptômes que « ce porc » m’a fait développer. Et secrètement, j’espère que chaque jour qui passe, ce porc se lève en se demandant si je vais finir par le balancer à la justice.
Riz et Abricots
Lyonnaise en guérison de TCA