* Tous les prénoms ont été changés afin de respecter l’anonymat des participant-es.
Émilie: Moi, c’est Émilie, 35 ans, survivante de l’inceste de 5 à 12 ans par un oncle maternel et bénévole dans l’association.
Sarah : Moi, c’est Sarah, 56 ans ½ , survivante de l’inceste de l’âge de 9 ans à 17/18 ans, bénévole dans l’association et espérant que l’association progresse, progresse et qu’enfin on tue ce fléau qu’est l’inceste.
Sofia : Moi, c’est Sofia, 53 ans et j’ai été incestée à l’âge de 7 ans par l’un de mes frères.
Arnaud : Arnaud, 36 ans, victime d’inceste de l’âge de 6 ans à 12 ans par ma belle-mère et son fils.
Stéphane : Stéphane, 34 ans, j’ai été abusé par le conjoint de mon oncle, je ne sais pas si juridiquement c’est de l’inceste ou autre, je ne suis pas familier du tout avec les aspects juridiques de la question, ni psychologiques, j’ai découvert tout ça en lisant un peu sérieusement les textes sur le site Le Monde à Travers un Regard. Je me suis sorti un peu tout seul de ça… sans consulter de psy ou autre, je me bats avec mes propres moyens pour essayer de briser le tabou et j’espère aider un peu l’association, en tout cas y adhérer officiellement.
Manon : Oui, Manon, j’ai 45 ans demain. Issue d’une famille dysfonctionnelle, je n’arrive pas à me détacher de ça, j’ai une sœur aînée qui a été victime d’inceste et moi, victime d’un pédophile à 8 ans ½.
Iris : Iris, 51 ans, victime d’inceste de la part de mon beau-père, de ma sœur et de la copine de mon père.
Marie : Marie, 53 ans, victime d’un père, d’un frère et d’autres personnes depuis toute petite. Aujourd’hui, je suis mariée, j’ai des enfants, bénévole dans l’association.
Sofia : Effectivement, je suis devenue adulte très tôt, je suis d’une famille de 5 enfants, je suis la quatrième et j’ai 4 frères, c’est le 3ème de mes frères qui m’a incestée, j’avais 7 ans. Ma relation avec ma famille… comme ma mère… j’avais besoin de ma mère mais elle ne s’occupait pas de moi parce qu’elle ne voulait pas d’une fille donc elle me rejetait, puis elle me maltraitait aussi physiquement, je n’ai jamais pu lui en parler à elle et la personne qui aurait pu m’aider c’était mon père et j’ai toujours eu honte de lui en parler, je ne lui en ai jamais parlé, donc, j’ai continué à fréquenter une famille toxique parce que j’avais besoin affectivement, j’avais besoin de ma mère, même adulte, j’avais besoin de ma mère. Alors, ça a été très difficile donc j’ai tout gardé en moi et j’avais bien sûr beaucoup de soucis physiques, j’avais énormément de soucis physiques. Je n’ai pas agit pour mettre fin à cette relation, non… parce que je savais que je serais encore plus malheureuse affectivement, je l’étais mais je savais que je le serais encore plus, n’ayant pas dans ma vie personnelle… j’avais une vie professionnelle intéressante mais je n’avais pas de vie personnelle suffisamment forte affectivement pour être aidée. Le rôle et la place de l’agresseur, il s’en est bien sorti dans la mesure où c’était quelqu’un à l’inverse de moi qui était très communiquant, il maîtrisait l’anglais, il a 3 ans de plus que moi donc, moi, quand j’avais besoin de préparer des contrôles en anglais ou de préparer des courriers à des copains, des copines étrangers qui parlaient anglais, j’allais le voir, donc, on a toujours eu une relation très compliquée, complexe. Il s’est marié, je me suis mariée et à chaque fois qu’il a pu m’offrir un beau cadeau il me l’a toujours offert, socialement, ça allait pour lui et je me suis toujours dit qu’il m’achetait quelque part. C’est quand même quelqu’un que j’ai mis comme le parrain de ma fille, c’est vrai que j’en ai parlé à mon thérapeute lorsque j’étais à Bordeaux et il m’a dit que ma vie n’était pas la vie de ma fille. Parce que c’est quand même quelqu’un ce frère là avec lequel j’ai le plus de liens intellectuellement, au niveau de la sensibilité, artistique, des choses comme ça.
Iris : Quand je suis devenue adulte, en attendant, il ne s’est pas passé grand-chose. Il ne s’est rien passé jusqu’en 1992, suite à un coup de foudre qui m’a permis de mettre en question et là, j’ai commencé à fouiller dans mon passé et à voir un thérapeute et quand j’ai retrouvé les souvenirs des agressions que j’ai vécu moi et que c’était ma sœur, je confrontais d’abord ma sœur avec la réalité mais elle a refusé, elle a coupé les ponts, j’ai accusé ma mère aussi, j’ai fait les courriers, ils ont tout nié bien sûr et ils m’ont rejetée totalement. Donc, suite à ma dénonciation, tout le monde m’a tourné le dos, aussi bien ma mère, mon demi frère,ma sœur, je n’ai pas pu avoir d’aide non plus du côté de mon père biologique à qui je m’étais confiée mais qui n’a pas été d’un grand soutien. Au jour d’aujourd’hui, je n’ai plus de famille, j’ai un oncle avec qui je reste en contact mais que je ne connais pas vraiment mais qui est très chaleureux et très sympathique et j’espère qu’à travers lui, je pourrais retrouver une autre famille qui n’est pas toxique.
Sarah : Déjà ; « famille » c’est un mot qui est très difficile pour moi parce que étant enfant de la DASS, je me suis cru avoir une famille qui était une famille pseudo d’adoption et ma mère d’adoption je l’ai toujours considérée comme ma mère, elle est décédée maintenant et pour moi elle reste ma mère. Par contre, son mari qui est l’auteur des actions à la fois sur ma sœur et sur moi-même à la même époque. C’était une relation très particulière parce qu’il était le papa que je n’avais pas puisque je n’avais pas de papa et à l’âge de 5/6 ans il est arrivé dans ma famille et ça a été pour moi… j’étais un peu comme tout le monde, comme les petits copains à l’école : mon papa et ma maman. Il avait une place prépondérante et encore aujourd’hui, j’ai beaucoup de mal parce qu’il est indigne de la place que je lui avais donné et comme je ne peux pas me retourner contre lui, je me retourne contre moi de lui avoir donné cette place. Ce manque a fait que je suis très dépendante de l’aspect affectif, je suis sans cesse en recherche de l’amour, de la tendresse que je n’ai pas eu et ça en est particulièrement pénible parce que je me sens très lourde par rapport à tout ça. Je l’ai subi jusqu’à l’âge de 18/19 ans, je ne peux pas déterminer avec précision ou 17/18 ans, je ne peux pas déterminer avec précision quand ça c’est arrêté mais j’ai quitté la maison j’avais 20 ans, parce que la majorité était passée à 18 ans lorsque j’ai eu 20 ans, et puis, malgré tout il y avait ma mère donc je continuais à y aller et à me trouver en face de lui et c’était parfois très pénible. Mais je n’étais pas dans le déni, je n’étais pas dans la sortie du déni parce que moi j’ai toujours été consciente de ça, de ce qu’il s’était passé mais bon, c’était rentré dans un tiroir et il ne fallait surtout pas ouvrir le tiroir. La relation avec la famille, je cherche toujours, je cherche encore aujourd’hui à avoir une relation familiale. C’est vrai que je me rattache énormément à ma sœur qui a été victime avec moi et d’un autre côté j’ai aussi une famille qui est une famille par mon père biologique qui donc a eu une femme et des enfants de son côté qui sont donc des demi-sœurs et notamment avec une, je suis très, très proche, elle est très, très proche de moi aussi, il y a une recherche permanente…jusqu’où, je n’en sais rien… et le rôle de l’agresseur, jusqu’à sa mort il était là et vis à vis de ma mère, je ne pouvais pas ouvrir mon bec, je ne pouvais pas me permettre de tuer ma mère en parlant de ça, ce qui fait que lui, il avait toujours ce rôle de père, de père prépondérant et moi je n’avais qu’une envie, c’était de lui éclater la tête et bien qu’il soit mort maintenant, j’ai toujours envie de lui éclater.
Émilie : J’ai du mal à déterminer le moment où je suis devenue adulte. Je ne sais pas. J’ai quitté la maison tôt, j’avais entre 16 et 17 ans parce que je ne supportais plus ma mère, j’avais envie de la tuer, c’était violent à la maison, je l’insultais, je lui jetais des choses à la figure parce qu’elle m’insupportais, parce que je pensais qu’elle ne m’aimait pas. J’ai essayé toutes les façons possibles et imaginables d’attirer son attention mais ça ne marchait pas. Finalement, après avoir tout essayé, j’ai décidé de partir. Je suis partie, j’ai vécu un peu dans la rue quelques temps, quelques mois. J’ai ensuite été retirée de la rue par un ex-petit ami qui m’a amenée chez ses parents. On s’est installés là-bas, après, je suis tombée enceinte, après, je me suis mariée, j’avais 19 ans. Tout ça, j’ai l’impression que ça c’est fait très vite, je n’ai pas vu le temps passer… j’étais toujours plus ou moins en relation avec mes parents parce que je leur donnait des nouvelles mais ma mère ne m’a jamais demandé de revenir, elle ne m’a jamais demandé comment j’allais, elle ne m’a pas aidé financièrement, ni affectivement, ni rien, mon père non plus. Ensuite, nous avons essayé de reconstruire des liens, j’ai pensé qu’on arrivait à une stabilité. Quand j’ai eu mes enfants, je me suis dit « ce serait chouette qu’on soit une famille normale, qu’ils aient des grands-parents… », En fait, c’était juste pas possible parce qu’ils étaient trop dysfonctionnels, mon père était toujours alcoolique, ma mère était toujours… enfin, elle n’aime pas les enfants, quand on allait là-bas, elle ne faisait pas à manger pour les enfants, elle oubliait qu’ils étaient là, ils faisaient trop de bruit, elle les mettait dans une chambre parce que bon, voilà… les enfants, il ne faut pas qu’ils vivent, il faut qu’ils fassent comme les meubles, qu’ils ne mangent pas, qu’ils ne bougent pas, qu’ils ne parlent pas et puis, l’inceste, il ne fallait pas en parler parce que ça dérangeait tout le monde. Et à force de secouer le cocotier et de voir qu’il ne se passait pas grand-chose, si ce n’est que petit à petit, ils disaient tous qu’ils tombaient malades à cause de moi, j’ai préféré arrêter, j’ai donc arrêter de les voir tous. Depuis, finalement ça va mieux pour moi et pour mes enfants aussi. L’agresseur, mon oncle, au milieu de ce bordel, je le voyais toujours, lui, était très apprécié parce que c’était quelqu’un de fêtard et de jovial contrairement à moi. Moi, j’étais un peu l’empêcheuse de tourner en rond, celle qui faisait tout le temps la tête, qui faisait des histoires, qui boudait, qui n’était pas marrante. Lui, c’était celui qui rigolait, qui dansait, qui chantait, qui avait plein d’amis. Forcément je ne faisais pas trop le poids et puis, lui, il travaillait, moi, je ne travaillais pas… donc, son rôle et sa place, il prenait toute la place et qu’est ce que c’était que ma parole face à lui ? Un jour, j’ai vu qu’il prenait l’un de mes fils, le plus petit, celui qui était encore bébé, sur ses genoux et j’ai pété un câble…
Arnaud : Je suis parti de la maison à 15 ans ½, j’ai tout de suite travaillé, c’était totalement une fuite parce que je ne supportais plus ma belle-mère et son fils. Je suis revenu 4 ans plus tard, mes parents sont divorcés donc je suis revenu chez ma mère qui elle ne s’était jamais occupé de moi et c’était le yoyo entre le chantage affectif et l’aspect financier, mon père avait le pouvoir et jouait surtout la dessus. Donc, ça a été le yoyo pendant des années et des années par rapport à mes études… donc, en fait, adulte et indépendant, je le suis véritablement depuis ma sortie totale du déni, ça fait un an et j’ai 36 ans. La relation toxique n’existe plus puisque j’ai mis une fin totale à ma relation avec mon père, ma belle-mère et son fils, ainsi que ma demi-sœur. J’ai des échos de temps en temps de ma mère qui revient à l’assaut pour savoir comment ça va, même si dernièrement quand je suis sorti du déni, elle m’a avoué qu’elle aussi avait été victime d’inceste. Les agresseurs, ma belle-mère et son fils étaient évidemment sur un piédestal par mon père puisque lui les a constamment protégés, il n’a pas dénoncé l’inceste quand il a vu ce qui se passait. Elle, en tout cas, a réussi en tant que femme d’entrepreneur PDG, donc, elle a réussi entre guillemet, lui, est parti très vite aux États-Unis à l’âge de 21 ans, alors, est ce qu’il est parti parce qu’il savait que ce qu’il avait fait était mal ? Je ne sais pas. De temps en temps, je l’ai vu, il y a 4 ans de ça, la dernière fois que je l’ai vu, il m’a parlé d’une histoire de prostituée sordide à New York alors qu’on aurait pu se dire tout autre chose que ça.
Stéphane : Je dois réfléchir à la définition de l’adulte par rapport à l’enfant. L’indépendance, si on l’entend dans le sens au niveau financier, avoir un toit et tout ça c’était pour moi entre 25 et 27 ans avec mon premier vrai travail, appartement, etc. Avant ça, j’étais abusé par le conjoint homo de mon oncle côté paternel, mon oncle était âgé de 10 ans de plus que lui, c’était quelqu’un d’un peu fragile psychologiquement mais quelqu’un de sympa et d’ouvert, fêtard, etc. L’autre, mon pédophile était beaucoup plus violent, retord, c’était le style « beau mec » et mon oncle était très, très amoureux de lui. Mon pédophile semblait avoir d’autres aventures à droite, à gauche, je me souviens de l’homo, c’est difficile à vivre, c’est aussi un tabou mais ils habitaient à une quarantaine de km de là où je vivais avec mes parents. J’aurais été abusé, je veux dire touché physiquement entre 4 ans et 8 ans, je n’ai pas le souvenir précis mais j’ai des images, des odeurs, des sensations assez nettes, notamment, je me souviens de voir le type assis dans un fauteuil rouge. Mes parents ont pris conscience de la chose parce que vers 4 ou 5 ans, j’ai répété des phrases en rapport avec des actes sexuels que normalement on ne connaît pas à cet âge là. Je voyais ce type parce que l’oncle était sympathique et ma famille m’emmenait le voir régulièrement l’oncle et l’agresseur et là, mes parents et les autres membres de ma famille, grands-parents, les autres oncles, tantes et tout ça n’ont pas pris l’initiative de stopper très nettement les rencontres entre moi et le pédophile. Ça, c’est une erreur, c’est clairement une erreur, ils en sont conscients, du coup, il y a des hauts et des bas avec mes parents, on continue à se fréquenter mais il y a des moments où si j’ai un souci quotidien affectif ou au travail ou autre, des voisins, ça leur retombe à 99% dessus, même si j’essaie de régler mon problème avec l’employeur ou avec la fille etc. quand même mes parents morflent. J’ai eu une crise d’adolescence très, très violente vers 10, 11, 12 ans par là, je leur avais dit que ce n’était pas mes vrais parents. A l’époque je ne savais pas très bien, j’ignorais inconsciemment qu’en fait j’avais été abusé mais pour eux, ça a du faire un tilt assez fort. C’est à partir de cet âge là qu’ils m’ont posé des mots sur ce que je vivais inconsciemment, enfin, quand on est gamin, on le sent… donc, j’ai regardé le pédophile d’une autre façon, j’ai été beaucoup plus négatif vis-à-vis de lui, vraiment quand il insistait : « non, je ne veux pas, non, ne me touche pas », il continuait à le faire, y compris pendant des anniversaires où il y avait des adultes puisque je faisais les anniversaires avec des enfants de mon âge et avec des parents et il y a eu une fois où dans le salon, j’étais assis dans un coin avec ce type et les adultes étaient à table et il me parlait e là, un juge pour enfant a clairement dit à mon père « mais ce gars là a un discours pédophile ! » Et ce genre de situation où il y a eu une conscience des adultes, mais sans porter plainte, sans interrompre les visites, ça a duré jusque vers 20 ans. Donc, de 12 à 20 ans, des relations affectives avec des copines j’en n’ai jamais eu, je tombais amoureux comme ça, toujours, mais sans réciprocité et des filles qui semblaient s’intéresser à moi je les rejetait, y compris physiquement, je les repoussait.
Marie : Je suis partie de chez mes parents j’avais 19 ans, pour travailler à Paris. Je ne sais pas trop quoi dire en fait… parce que le mot « adulte », c’est vrai que j’ai été adulte très jeune, j’avais un rôle de seconde maman à la maison puisqu’on était très nombreux, on était 10 enfants. A 19 ans, je suis partie travailler à Paris, je pense que ça m’a un peu sauvée de cette histoire, à partir de ce moment là, je l’ai rangée dans un coin de ma tête et j’ai tout oublié jusqu’à l’âge de 42 ans et un matin, j’ai explosé parce que mon histoire est revenue comme ça et c’est à partir de là que j’ai mis fin à cette relation toxique, ce n’est pas moi qui l’ai décidé, c’est mon corps en fait et depuis ça, ça fait 9 ans maintenant que je n’ai plus ma famille, puisque de toute façon je les dérange, je ne peux plus y aller, c’est un de mes frères qui m’a agressée, lui, il a vécu sa vie de mari et de père de famille avec 3 petites filles, mais quand j’ai parlé ma famille m’a un petit peu tourné le dos, ils n’ont pas trop voulu en entendre parler de ce que je racontais, donc, j’ai tout abandonné. Depuis toujours l’agresseur n’a pas changé son rôle, il est resté tel qu’il était… C’est bizarre parce que quand j’étais montée à Paris, je redescendais ponctuellement une fois tous les deux mois, une fois tous les trois mois, ça dépendait de ce qui se passait et j’allais dans cette famille et bien sûr qu’il était là, vu qu’il venait manger aussi, je lui disais « bonjour » mais c’est bizarre, je ne lui parlais pas, je ne savais pas quoi lui dire à celui-là mais je n’avais même pas conscience qu’il m’avait agressée en fait… je ne sais même pas quel boulot il fait, je ne savais rien de sa vie, je lui disais « bonjour » et le reste ne m’intéressais pas et il y avait les gens aussi, on n’était pas tout seul… la famille aujourd’hui, c’est difficile, faut faire le tri… même s’il y a des moments difficiles, comme les fêtes de fin d’année ou d’autres choses comme ça qui me ramènent à ça, se dire qu’ils sont vivants et qu’il faut refaire un deuil, moi, je le fais ce deuil là parce que c’est trop lourd. En même temps, eux, je ne sais pas, je ne les comprends pas parce que… comme dernièrement ma mère ne m’appelle pas, enfin, elle ne m’appelle plus, c’est normal parce que de toute façon je lui ai écrit que ce n’était plus la peine mais elle ne s’empêche pas de m’écrire pour me dire qu’il y a un décès par ci par là, ça me travaille en ce moment ça. Parfois, ce qui me travaille aussi c’est que j’ai un prénom et je suis la seule dans cette famille à avoir un prénom… même s’il est composé mais je n’ai pas de prénom, comme tous mes frères et sœurs, ils ont des parrains marraines… et puis, des fois, je me dis que peut-être que ma mission c’est d’arrêter tout ça, je ne sais pas comment dire ça, c’est dur à vivre en même temps les relations familiales parce que quand on a des enfants, c’est insupportable, leurs questions… quand ils me parlent du passé, moi, je ferme tout de suite, j’évite et je réponds assez froidement mais quand ça revient un petit peu, ça me secoue quand même, c’est tout mélangé.
Arnaud: Si je m’étais écouté, à un moment, je crois que je les aurais butés parce que j’avais tellement de rancœur, de frustration et de fureur par rapport à tout ce qu’ils m’ont fait … les voir crever, si demain je savais… enfin, je ne dis pas qu’ils mourront demain… je crois que j’irais presque danser sur leurs tombes tellement ils m’ont pourri la vie. Il y a d’un côté ma belle mère mais c’est qui ce mec ? D’un côté il a 10 ans de plus que moi, lui entre temps quand même, il a eu le revers de la médaille, c’est-à-dire qu’il continue toujours à aller voir les prostituées, donc, il est toujours a essayer de corrompre d’une certaine manière ma demi sœur en lui donnant des ecstasys, en lui donnant des pétards, il continue son petit chemin, il n’est pas inquiété.
Stéphane : Affectivement, sexuellement, pour moi, ça a été zéro, je n’ai vraiment rien vécu. L’indépendance financière à mon boulot et toutes les activités quand j’ai été jeune c’était quelque part une fuite en avant, je cherchais des choses qui me plairaient pour oublier ça, me reconstruire. J’ai eu une période, presque 15 ans, où je me suis entraîné et dépensé physiquement que j’ai à peu près canalisé dans des sports extrêmes, du coup, ça m’a plus rapproché de la mort que de la vie finalement, parce que quand on voit les accidents, des gens mourir, quand on voit couler le sang dans des entraînements violents, c’était peut-être pas une bonne idée, n’empêche que ça a été fait. L’agresseur, on le revoyait presque tous les mois, vraiment de 4 ans à 20 ans, il y avait la visite à l’oncle. Seulement, moi, plus le temps passait plus j’étais capable de m’opposer et de faire respecter mon « non » finalement, je devenais physiquement un peu plus fort alors que mes parents, aussi grands qu’ils étaient ne me protégeait pas réellement par peur, parce que c’est tabou, je ne sais pas pourquoi… il y a 2, 3 ou 4 ans, je ne sais plus, mon oncle étant décédé, il a fallut retourner chercher ses affaires qui appartenaient à mon père, puisque mon oncle n’avait pas fait de testament en faveur de son conjoint, et j’ai donc revu le pédophile, il s’était clochardisé au sens où il avait toujours vécu au crochet de mon oncle et je l’ai vu sous un autre angle. Je le voyais toujours comme quelqu’un de dangereux pour moi, un agresseur et cette fois, il y avait au minimum un pied d’égalité, plutôt j’étais supérieur, enfin, c’était dans le sens où c’était du passé, la page est tournée, c’est bien, on peut recommencer à zéro dans une période où j’avais revu une amie d’enfance dont j’étais tombé amoureux dans ma jeunesse, elle avait sa vie, elle était vraiment désolée pour moi et elle a eu une réaction très positive, parce que jusqu’à maintenant, j’en parlais vraiment à tout le monde pour essayer de sensibiliser et je cherchais quelqu’un qui pourrait m’aider, pas forcément un psy mais… donc, il y a eu une réaction positive en me disant que « oui, ça a été fait mais qu’il fallait essayer de reconstruire, de ne pas se laisser bouffer par ça » et ça m’a redonné la pêche pour une reconversion professionnelle, j’ai pu passer un master…bien, ça a été un départ à zéro, j’ai réussi à trouver un boulot et là, ça ne m’était pas arrivé depuis des années j’ai eu un coup de foudre pour une fille qui avait déjà sa vie et tout ce que j’avais à peu près patiemment construit dans le domaine professionnel, essayer de me construire un réseau de copains, une vie, tout ça, c’est tombé à l’eau. Il y a eu quelques jours assez durs, j’ai réalisé finalement que la base était assez fragile, c’est dans cette période là que j’ai pris connaissance des existences des assos, j’ai découvert toue une série de textes, j’ai pu poser des mots sur des émotions, d’expériences aussi qui expliquaient qu’effectivement c’était un parcours en dents de scie, qu’on n’est jamais vraiment à l’abris de ça, même si je pense que je suis quand même plus proche de la sortie du tunnel qu’il y a des années et on reste plus ou moins en bon contact avec cette fille. Je pense que le texte que j’écris là, que j’essaie de faire aboutir pour le livre de l’association, il y a une partie où je compte parler d’elle, de son passage et lui faire lire pour avoir sa réaction et c’est aussi quelque part sa réaction : soit elle comprend, soit elle s’en fout, comme c’est déjà arrivé à des gens à qui j’expliquais et pour moi, ce serait une façon encore d’avancer parce que si quelqu’un à qui on s’attache s’en fout, ça prouve quelque part que la vie avec des événements durs comme ceux là, il faut essayer d’une façon ou d’une autre de tirer un trait, enfin, on ne peut pas tirer un trait non plus… le rôle de l’agresseur, ça n’a jamais été quelqu’un vers qui j’ai été attiré, je n’avais pas besoin de son affection, je cherchais plutôt celle des parents, je n’avais pas correctement celle des parents puisqu’ils ne me protégeait pas, donc, je la cherchais ailleurs, je ne l’ai pas vraiment trouvée, je l’ai plutôt trouvé dans des activités ou dans des idées pratiques, politiques, militantes ou autre que chez quelqu’un. J’ai du mal à faire confiance à quelqu’un… il y allait franco avec moi, c’était je te montre des revues porno et homo, pas des trucs softs, je reste près de toi, je te touche, je te regarde, viscéralement, je suis très, très haineux vis-à-vis de ce bonhomme… d’où les pratiques des sports intenses et violents, les accidents de voiture aussi, on ne les cherche jamais mais quand ils arrivent, on se dit « ça y est, cette fois, c’est la bonne… »
Sofia: Ma relation avec ma famille, mes parents sont décédés déjà… quant à mes frères, je ne les vois plus, il y en a qui ne sont pas clairs avec moi… il m’a fallu beaucoup de temps, maintenant, je m’occupe de moi, ma fille est grande, elle a sa vie, ça se passe bien pour elle. L’agresseur, lui, il est gravement malade, je suis quand même allée le voir quand il était dans le coma et tout mais je suis passée à autre chose mais je ne savais pas que mes problèmes physiques, mes malaises, tout ça pouvait provenir de ce que j’avais vécu et j’ai fait ma thérapie, j’avais 40 ans, c’est tard, la vie nous est pourrie par ce qu’on a vécu.
Marie : Aujourd’hui, l’agresseur est séparé de sa femme, je suis bien contente, j’ai son adresse… j’ai parfois des colères où je me dis « je vais peut-être lui envoyer un courrier », je ne pense pas qu’il soit très malheureux ce mec. Je ne sais pas trop quoi dire, c’est dur la famille.
Sarah : J’ai un regret éternel, c’est de ne pas lui avoir craché à la figure et toutes les démarches que j’ai pu faire depuis 2 ans où j’ai témoigné dans les émissions, mes engagements… ce n’est pas l’unique but mais la première motivation c’est de faire en sorte, parce que je ne porte pas le même nom que lui, que s’il n’y a qu’un seul membre de sa famille, puisque ce n’était pas ma famille de sang, s’il n’y a qu’un seul membre de sa famille de sang découvre les choses et se rende compte de quel salopard il était plutôt que d’avoir le rôle de bon père génial, extraordinaire, phénoménal qui a élevé des enfants de la DASS. Comme il s’est jeté des fleurs en disant qu’il avait permit à ses filles de faire des études… et je ne peux pas me permettre d’aller agresser ses descendants en leur disant « votre père c’était un salopard » parce que bon, je n’ai pas le droit de le faire donc j’essaie par un moyen détourné et je me dis que si lui, il m’entend là haut, il va faire en sorte que quelqu’un me reconnaisse et se rende compte des choses parce que bon ma sœur est dans le même cas que moi mais elle me dit « Tu agis pour moi », alors, j’ai un double rôle : ce rôle là que je me suis donné et j’ai aussi le rôle de défendre l’honneur de ma sœur.
Iris : Ce n’était pas vraiment un choix qui m’a permis de me libérer, c’était ma colère, une soif de justice. Quand j’ai confronté la famille avec les faits, les agressions avec ma sœur et moi, comme la famille était presque toute impliquée c’était… je leur ai envoyé un courrier à tous, je leur ai téléphoné, j’ai surtout beaucoup écrit pour pouvoir exprimer ma colère et les ressentiments, ils m’ont tourné le dos. C’est vrai que là, on sort de la période de Noël et c’est très difficile. Être coupé comme ça de ma famille on ne peut pas dire que c’est un choix, enfin si, c’est un choix parce que je ne peux pas faire autrement, je n’ai pas pu faire autrement pour mes enfants et pour moi-même mais c’est un choix vraiment difficile et une fois qu’on l’a fait, il faut en subir les conséquences et aller de l’avant. Je suis aujourd’hui protégée et mes filles ont été protégées et ça j’en suis heureuse, maintenant à eux de vivre leur vie et à moi de vivre la mienne sans eux.
Arnaud : Ce n’est pas une histoire de choix, c’est mon corps qui a réagit comme ça, je ne pouvais pas faire autrement, il fallait me protéger, faire partir mes obsessions, essayer de penser à autre chose que ma famille tout en vivant avec eux. Ensuite, il y a tout ce qui était en rapport avec la mort, je parlais souvent aux fantômes que j’imaginais ou je me parlais à moi-même, essayer de me rassurer par des personnes qui n’étaient pas vivantes, qui n’existaient pas. Après, il y a tout ce qui a été le sexe, ça permet de penser à autre chose, l’alcool aussi et au final, couper complètement les ponts et ça, ça m’est arrivé que depuis la sortie du déni. C’était la protection maximum, au-delà, je pense qu’il n’y aurait pas eu, enfin si, puisque je parle de « l’au-delà », le suicide…
Stéphane : Pour ce qui est censé être des actes décidés et réfléchis, je pense que c’était juste une question de hasard, l’une des portes de sortie ça a été de militer dans des associations très différentes de celle-ci comme la protection de l’environnement. Alors même que j’étais jeune, la vingtaine, et qu’à cet âge-ci on sort entre jeunes pour faire la fête, j’ai plus fréquenter des personnes plus âgées que moi, ça pouvait être un élu très charismatique, très séduisant mais une véritable ordure, donc quelques fois ça me rappelait mon pédophile et cette porte de sortie a été importante, ça m’a permis de faire la part des choses de la première apparence et des faits et des idées. J’avais confiance en le matériel qu’en les personnes. Ça a été une porte de sortie. Il y a eu le sport aussi de manière assez intense, pas l’alcool, pas la drogue, le sexe zéro, ce qui n’a pas été une grande surprise. J’ai expliqué sur le forum que mon éducation à la sexualité a été faite par Internet, c’est-à-dire rien. Ce qu’ont fait les parents c’est simplement d’éviter de me laisser seul avec le pédophile mais sans empêcher vraiment les visites et les agressions. Il m’a fallut du temps pour avoir de vrais choix pour me dire « finalement c’est telle activité, telle ville où j’aimerais m’installer, c’est tel métier qui me plairait, c’est telle personne que j’aimerais fréquenter », avant c’était vraiment une succession d’essais, de peur aussi d’essayer certains trucs. C’est vraiment tout récemment que mes choix sont décidés et mûrement réfléchis.
Sarah : Se lancer dans les études, étudier pour ne pas penser. Je me suis lancée dans une licence de géographie en me disant je vais enseigner et une fois que j’avais la licence et une fois que j’avais passer le capes, chaque fois que j’atteint le niveau qu’il me semble que je dois arriver, je croyais toujours qu’il fallait que j’aille plus loin alors j’ai décidé d’arrêter et la vie m’a rattrapée, je me suis retrouvée enceinte donc il fallait bien que je gagne ma vie. Malheureusement, j’ai perdu mes enfants, j’ai perdu mes filles mais il fallait que je travaille, donc, je suis rentrée comme femme de ménage tout en ayant un bac et une licence. C’est bien beau de passer la serpillière mais je me suis dit que, je ne suis pas quelqu’un de prétentieux mais je me disais quand même avec le niveau intellectuel que j’avais, je pouvais quand même viser le niveau un petit peu au dessus alors j’ai visé l’école d’infirmière. L’école d’infirmière, c’est très bien, j’ai exercé comme je le souhaitais, j’étais infirmière libérale. Puis, l’affect m’a rattrapée et ça a clashé niveau affectif : deux divorces, donc, j’ai fini par quitter le libéral parce que je me suis dit « c’est le libéral qui me fout en l’air… », Alors je suis rentrée comme salariée, j’ai quitté la région, j’ai fait pas mal de conneries dans la recherche effrénée de l’amour et les années ont passé et j’ai réussi à me stabiliser au niveau professionnel. Une fois que j’ai été bien stabilisée au niveau professionnel, j’ai visé un peu au dessus, on m’a poussée à viser au dessus et je me suis dit « OK, puisqu’on estime que je suis capable, pourquoi pas ? », j’ai passé un concours que très peu de gens réussissent du premier coup, moi, j’ai fait comme les copains… je me suis plantée à l’oral et on ne m’a pas donné la possibilité de me représenter, là, j’ai pris un grand coup sur la tête il y a 5 ans de ça, j’ai eu envie de tout envoyer balader et finalement j’ai pris du recul. Je me suis dit que finalement mon choix professionnel étant de prendre soin des autres , j’ai continué sur cette voie là, je prend des responsabilités que j’assume, je suis bien, je suis reconnue, c’est vrai que j’estime que je ne suis pas tout à fait reconnue à ma juste valeur mais je suis reconnue mais bon, en arrière plan il y a toujours cette haine que je traîne et que je traînerais à vie parce que je n’arrive pas à ne pas le haïr, parce que quelque part il a foutu ma vie de gamine en l’air, il m’a foutu ma vie sexuelle en l’air, il a entraîné des comportements chez moi, des comportements au niveau sexuel qui n’étaient pas vraiment assumés. Dans l’ensemble je suis quand même arrivée, parce que j’ai eu la chance de rencontrer quelqu’un avec qui je suis depuis 12 ans qui m’a montré un chemin dans lequel… qui n’est peut-être pas le miens mais dans lequel je suis bien, c’est l’essentiel. Mais j’aurais toujours des regrets sur des tas de choses que j’aurais pu faire et que je n’ai pas fait. Actuellement, ma vie c’est arriver à la fin de ma carrière, il me reste 5 ans à faire et puis après on verra. Ma carrière d’un côté, mon engagement dans l’association d’un autre côté, mon engagement dans une autre association qui est en lien avec mon milieu professionnel et puis, d’un autre côté, c’est la généalogie parce que je voudrais quand même savoir d’où je viens et qui je suis.
Marie : À la sortie du déni, j’ai décidé de ne plus les voir parce que ça m’était insupportable et c’était aussi pour me protéger.
Émilie : J’ai fait des tests, j’ai choisi en tout cas de partir comme je le disais très tôt de la maison parce que je ne supportais plus ma mère, ni mon père d’ailleurs, comme je ne voulais aller ni chez l’un, ni chez l’autre, je suis partie dans la rue, je me trouvais mieux là-bas à l’époque, ce n’était pas un choix puisqu’à l’époque ça m’a conduit tout droit vers, enfin, j’y étais déjà avant dans la toxicomanie avant de partir dans la rue, mais j’y suis allée plus profondément quand je suis partie dans la rue, dans la prostitution aussi, même si j’étais encore mineure, ce n’était pas un bon choix. Une fois que je me suis remise un peu de tout ça et que j’étais mariée avec un enfant à 19 ans, j’ai fait le choix, enfin, je ne sais pas si ce sont des choix en fait… ce sont des choix inconscients… j’ai essayé de renouer avec mes parents, d’avoir une famille à peu près normal en me disant que c’était possible, que je pouvais peut-être les changer, qu’ils ne pouvaient pas être aussi horribles, qu’ils ne l’avaient pas fait exprès et ce n’était pas beaucoup mieux parce que j’étais très mal, très en colère, très triste, c’est moi qui était mal tout le temps. Quand je suis sortie du déni, j’ai viré tout le monde sauf mes parents, je me suis dit « je vais pouvoir les changer, c’est sûr, ils ne peuvent pas être aussi pourris » je les ai même emmenés en thérapie avec moi et finalement, je me suis aperçue qu’ils étaient bien pourris. Après un peu plus d’un an de thérapie familiale, ma mère a dit qu’elle était en dépression à cause de moi, ensuite, elle a commencé à faire des « pseudo tentatives de suicide » où il fallait que j’aille la chercher à l’hôpital etc. donc, après, j’ai dit « c’est bon, on arrête de se voir » et depuis, nous ne nous sommes pas revues. Et mon père, alors mon père ! Il a décidé qu’il fallait qu’il arrête de réfléchir, vu qu’il a arrêté de réfléchir et qu’il ne voulait plus penser, j’ai arrêté de le voir, comme ça c’est clair et je pense que c’est la meilleure façon que j’ai trouvé pour me protéger. Depuis qu’il n’y a plus ça, il n’y a plus de torture psychologique et j’ai appris aussi, depuis que je ne vois plus ma mère, que ma mère disait des choses à mon fils le plus grand, en particulier, que je préférais son frère, que je n’étais pas gentille avec lui, qu’il fallait qu’il se rende compte que le plus petit était le chouchou, des choses que je n’avais pas détecté moi avant et du coup, je me dis que j’ai bien fait de couper ces liens là parce qu’elle était entrain d’avoir une très mauvaise influence sur lui. J’ai fais plusieurs tests : « je vais les changer, ils sont gentils, ils sont méchants… » et finalement, ça ne marche pas donc, on a arrêté.
Manon : Une fois je disais que j’étais née dans un berceau plein de merde, ça reflète bien l’ambiance. C’est compliqué, avec ma famille, il n’y avait pas de relation. J’étais malgré tout attachée à ma mère, je l’aimais, je crois que c’est ça qui a été compliqué, elle est vraiment toxique, donc, point final, je ne la vois plus. J’ai quand même fait une tentative de discussion en lui écrivant en 2004, je lui ai écrit une lettre pour lui dire « tu n’es pas une mère », c’est sûr, ça ne fait pas plaisir. Elle a dit à mon autre sœur que j’affabulais. Donc, oui, j’ai préféré mettre un terme concernant ma mère en tout les cas, mon père c’était depuis toute petite, depuis l’adolescence, comme je viens d’une fratrie nombreuse, c’est là que ça se complique « je t’aime, moi non plus, je te re-aime, je ne t’aime plus… » Le seul côté positif c’est que je suis très proche avec ma sœur, ce sont nos histoires qui nous rapprochent.
Sofia : Je n’ai pas pu parler à ma mère de ce que j’avais vécu parce qu’elle me maltraitait physiquement, elle me maltraitait aussi mentalement mais j’étais attachée à ma mère. Des choix, même en étant adulte, petite ou jeune, je n’ai pas fait le choix de me sauver de ma famille parce que j’étais attachée à mon père, ça a été très dur pour lui, ça a été très destructeur et très lourd à gérer au quotidien. Je me suis occupée d’elle quand elle a eu son cancer, c’était très lourd et très violent. Petite et ado, je n’ai pas su faire des choix parce que je pense que dans ma tête, je ne pouvais pas. Quand elle est décédée c’est vrai que ça a été compliqué pour moi, j’ai toujours pu me regarder dans une glace, je suis tranquille avec moi-même. Quant à l’agresseur, ma foi, il est gravement malade, il continue dans son coin, on est dans une relation très espacée, il y a longtemps que je ne suis plus affectivement dépendante de tous ces liens.
Arnaud : Je me souviens que ma mère est partie faire un voyage pendant un an ½ dans les Maldives et c’est mon père qui a eu ma garde. C’est là qu’il était avec cette charmante dame qui était ma belle-mère et l’inceste est arrivé pareil et avec son fils et je ne vois pas comment j’aurais pu me protéger à ce moment là. Qu’est-ce que j’aurais pu faire ? Mise à part parler avec des morts, à des personnes qui n’existaient pas, mon père était totalement absent, je n’avais que mes agresseurs qui étaient à la maison, entre ma belle-mère qui se masturbait sur mes jambes et son fils qui me forçait à lui faire des fellations, je ne sais pas…me buter sans doute ? J’ai essayé d’ailleurs à l’époque avec des fils électriques… après ça aurait été l’état peut-être si j’avais su…
Stéphane : Pour rebondir sur ce gâchis, sur la reconversion professionnelle, j’ai été sincèrement surpris d’avoir été épaulé, soutenu réellement par les profs de la formation continue, les étudiants de la formation continue et l’employeur qui m’employait à l’époque, les collègues de travail de l’époque. Ça a été de mémoire la première fois qu’un entourage positivait vraiment sur une activité individuelle et heureusement finalement parce que j’ai du arrêté la fac vers 20 ans, j’ai repris 10 ans plus tard pour obtenir un master et pendant ces 10 années je n’ai pas eu réellement d’activités intellectuelles, ça, ça a été un truc vraiment positif. Au niveau du sport, j’en ai fait de façon très intense et respectueuse, c’est-à-dire pas avec des produits dopants ou autres, c’était à la fois un sport de combat pour savoir me défendre, surtout pas arriver à tuer, c’était aussi un moyen de me laver, d’être propre, d’être irréprochable, c’était quand même assez extrême mais quelque part c’était un peu une porte de sortie avec un entraînement régulier, il y avait des règles, quelque chose d’assez fiable. J’ai aussi voyagé dans une trentaine de pays pour voir un peu ce qui se passait ailleurs, voir comment vivent les gens, ce qu’ils faisaient, ce qu’ils pensaient, qu’est ce qu’ils mangeaient, quels étaient les autres types de vie mais l’ayant pratiquement toujours fait seul, au bout d’un moment, je ne partageais rien, j’avais l’impression de revoir les mêmes paysages, les mêmes odeurs, les mêmes visages, même dans des pays très différents, à la longue ça devenait… parce que ce n’était pas partagé… peu plaisant, ça devenait plus une corvée qu’autre chose. Et la dernière porte de sortie c’était parce qu’avec les années j’avais envie de briser le tabou, j’ai raconté mon histoire avec plus ou moins de détails à des personnes, y compris des inconnus que je croisais dans un bus parce qu’on avait un peu d’affinités, qui passent, on parle de choses et d’autres, pourquoi pas de ce sujet là ? A des proches, au sens « voisins », des très proches au sens « famille », finalement, presque 9 fois sur 10 les gens avaient peur, étaient un peu immatures, ne me prenaient pas toujours au sérieux, ils ne mesuraient pas forcément les conséquences que l’inceste, que le viol peut avoir sur la victime sur tous les plans : professionnels, affectifs, sexuels ou autre et ça, c’est vraiment quelque chose qu’une majorité de gens ne comprennent pas, même des gens en qui ont peu avoir confiance ou dont on aimerait qu’ils aient une image positive de … enfin, dont je voulais qu’ils aient une image positive de moi. Du coup, plutôt que de me démoraliser, je m’énervais un peu et je me disais « il y a un problème à régler, il faut trouver un moyen de résoudre ça et d’ouvrir un peu les yeux des gens ». C’est un problème de société, il faut régler cette question là, c’est aussi une volonté de faire les choses et une manière de se reconstruire.
Émilie : J’ai fais le choix à un moment donné de parler, plusieurs fois, quand j’étais ado, j’avais un problème de violence assez récurrent qui m’a valu à un moment donné d’aller à l’infirmerie et à l’infirmerie, j’ai craqué, j’ai parlé à l’infirmière de l’inceste, de la maltraitance que je vivais chez moi aussi avec mon père et d’un viol que j’avais subi par un petit ami et l’infirmière m’a crue, ça m’a fait drôle parce que j’avais l’impression que c’était la première fois que l’on me croyait, ça m’a fait plaisir et en même temps je lui ai fait promettre de ne pas le répéter, je devais avoir environ 15 ans à l’époque. Cette infirmière m’a donné deux papiers avec les coordonnées d’un psy et les coordonnées de la brigade des mineurs. Elle l’a répété mais au Conseiller Principal d’Education du lycée chez qui j’ai été convoquée le lendemain mais ils n’ont pas prévenu mes parents. Je n’ai pas appelé la brigade des mineurs parce que j’avais trop peur, je suis allée en revanche voir le psy parce que j’étais vraiment mal et lui ne m’a pas crue, il m’a dit que je mentais. Ensuite, je ne suis pas allée voir de psy jusqu’à ce que j’ai 30 ans je crois et je lui en ai beaucoup voulu à l’âge adulte. Le fait qu’elle n’ai rien dit, ce qui pour moi était son devoir, je pense que ça a été déterminant dans ma vie parce que si elle avait parlé, si elle avait dénoncé, ma vie aurait été différente et je n’aurais certainement pas quitté le lycée avant le bac, je ne me serais pas retrouvée dans la rue, je ne me serais certainement pas prostituée en tant que mineure, ni droguée, je n’aurais pas été maman à 19 ans, ni mariée à un homme violent, ni femme battue après et je crois que la colère que j’ai ressenti a été aussi forte envers elle qu’envers mon agresseur et envers mes parents. Parce que quand j’ai pris conscience de ça, je me suis dit « mais en fait, il aurait suffit que cette personne parle et ma vie aurait été totalement différente » et voilà, c’est un choix que j’ai fais à l’époque de parler, j’aurais très bien pu dire « ben non, je suis violente mais il n’y a rien… » Et en fait, cette conne, deux bouts de papier et vas-y démerde-toi avec ça…je suis trop énervée.
Sofia : Pour rebondir sur ce que tu dis, moi aussi je me suis fait la réflexion, j’ai été suivie par quelqu’un j’avais 40 ans, mais si on ne rencontrait pas certaines personnes ou si on les rencontrait plus tôt, notre vie aurait pu être différente oui.
Manon : Je rebondis sur ma sainte mère, toujours elle. J’ai parlé par personne interposée, 8 ans, c’est petit mais j’ai quand même parlé, effectivement les choses auraient été différentes et en plus de ça, je m’en suis fait 2 pour le prix d’une, parce qu’en fait à 8 ans ½ j’ai fugué, je me faisais violer dehors alors entre le dedans et le dehors c’était l’horreur. Un jour au lieu de rentrer chez moi, j’ai voulu quitter la cité et sur le chemin je me suis faite attrapée, c’est pour ça que maintenant j’ai un problème avec les trajets, de mesurer les distances. D’une autre manière, j’ai eu de la chance parce que je commençais à pleurer et à crier et quelqu’un est arrivé et qui j’ai vu ? Comme par hasard ma sœur aînée… je lui ai parlé, je lui ai dit les choses, dans ma tête d’enfant, j’avais l’impression d’avoir fait une grosse connerie, forcément, c’était moi la coupable. Ma sœur l’a répété à ma mère et moi, j’ai nié, j’ai dit « c’est pas vrai ! », enfin j’avais 8 ans ½, c’était surtout la réaction de ma mère en direction de ma sœur c’était 1 : « arrête de mentir ! » et 2 : une baffe dans la gueule et du coup, on n’a plus jamais reparlé, c’était hors de question et pour moi et pour ma sœur. Forcément elle aurait agit à ce moment là, elle aurait essayé de comprendre ce qui c’était passé on peut imaginer que nos vies auraient été différentes d’où la haine vis-à-vis de ma mère qui est toujours présente.
Sarah : Moi, j’ai une haine envers mon agresseur et j’ai une haine aussi importante envers mon père biologique parce que mon père biologique a eu 4 enfants avec ma mère et moi je venais juste de naître et il a abandonné ma mère pour se mettre avec une femme qui avait 3 enfants, même âge, au mois près avec nous et j’ai appris il y a trois ans que ce charmant bonhomme dont je porte le nom c’était permit d’agresser toutes ses filles et petits enfants. J’ai une haine en moi qui est tellement forte, c’est tellement douloureux que j’arrive à me dire que de toutes façons si j’étais restée la fille de mon père j’y serais passée aussi, pour moi, mon destin c’était celui-là, j’ai la certitude que … je tente de me guérir en me disant que j’étais faite pour ça, j’étais faite pour être une victime de l’inceste et la vie c’était ça, évidemment je ne peux pas revenir sur le passé, la seule chose que je peux faire c’est si je croise une victime c’est de la protéger.
Stéphane : Juste un truc sur les personnes que l’on rencontre en dehors de l’agresseur. C’est vrai qu’on peut avoir la chance d’aller plutôt vers le haut ou de se faire coincer davantage. Moi, je l’ai réalisé assez tôt, c’est pour ça aussi que j’ai multiplié les rencontres, les trucs, les machins, à la fois pour me faire accepter en tant que victime et à la fois pour voir ce qu’il aurait été possible de vivre autrement. Finalement, les véritables amis ou soutiens sont plutôt rares, c’est décevant mais il faut faire avec et eux-mêmes ont aussi leur vie avec parfois des périodes un peu dures, il faut être réceptif, c’était pas toujours évident pour moi non plus d’aider les autres, j’avais plutôt besoin d’être remis à flot avant de pouvoir apporter quelque chose.