Philippe Vergnes Psychologue
le 3 juillet 2013
- ESPT – Etat de Stress Post-Traumatique = SSPT Syndrome de Stress Post-Traumatique
Plusieurs types d’ESPT sont aujourd’hui différenciés. Suivant les catégorisations ils seront dits de type I, II (Lenore TERR) ou III (SOLOMON E.P. et HEIDE K.M.), ou selon une autre taxinomie, ils seront complétés par les adjectifs de simple (équivalent du type I de Lenore TERR) ou complexe (défini par Judith HERMAN et dont l’équivalent dans la précédente classification est un composé du traumatisme de type II et III). Les différents traumatismes ainsi définis peuvent être directs ou indirects en fonction du rapport (victime ou tiers proche) à l’évènement marquant ayant causé la blessure psychique.
Les ESPT de type I correspondent à un événement traumatique unique présentant un commencement net et une fin claire. Ce type de traumatisme est induit par un agent stressant aigu et non abusif : attentats, agressions, accidents, catastrophes naturelles, etc.
Les psychotraumatismes de type II répondent à un événement répété, ou présent constamment, ou ayant menacé de se reproduire à tout instant durant une longue période de temps. Ils sont induits par un agent stressant chronique ou abusif tel que rencontré dans la violence intrafamiliale, les abus sexuels, la violence politique, les faits de guerre, etc.
Introduit ultérieurement dans cette nosographie par SOLOMON et HEIDE, les ESPT de type III désignent des événements multiples, envahissants et violents présents durant une longue période de temps. Ils sont induits par un agent stressant chronique ou abusif, par exemple : camps de prisonniers de guerre et de concentration, torture, exploitation sexuelle forcée, violence et abus sexuels intrafamiliaux, etc.
Quant aux traumatismes complexes (suivre le lien pour une description plus complète) ou DESNOS, ils sont à rattacher aux ESPT de type III (ou de type II pour certains chercheurs, mais à l’analyse, cette typologie semble regrouper les ESPT de type II et III ce qui ne change rien à son statut d’où probablement la négligence de ce détail chez les différents auteurs) et sont infiniment plus fréquents que les ESPT purs (de type I), mais passent souvent inaperçus.
Ce dernier trouble met sur un même plan des populations de victimes en apparence assez éloignées les unes des autres, mais qui ont pour caractéristique commune d’avoir subit des événements traumatiques perpétrés par un autre être humain de manière intentionnelle et répétée. Cela concerne :
• les personnes victimes de traumatismes subis pendant l’enfance (maltraitance, agressions sexuelles, etc., cf. l’interview de Gérard LOPEZ, Directeur du Centre de Psychothérapie de l’Institut de Victimologie, fondateur en France du premier diplôme universitaire de victimologie à l’Université Paris 13) ;
• les victimes de violence conjugale sous emprise ;
• les personnes victimes d’autres assujettissements à un contrôle totalitaire tels que les survivants de camps de concentration, les rescapés de prises d’otages, ou les anciens adeptes de sectes.
Le concept d’état de stress post-traumatique associe donc deux notions essentielles que sont le stress et le trauma qu’il convient de distinguer afin de ne pas tomber dans le piège de la confusion que génèrent les écrits sur ce sujet. C’est un détail important, car la méconnaissance de ces différences ne permet pas la reconnaissance des divers états de stress post-traumatique qui prédominent dans la pathogenèse des troubles de la personnalité et conduit à des erreurs diagnostiques beaucoup plus fréquentes que ne l’admettent les professionnels de la santé mentale.
Schématiquement, nous pouvons dire que lors des ESPT de type I (ou simple), c’est l’intensité (aigus) du traumatisme vécu qui va générer le stress et l’ESPT qui s’ensuivra (traumatisme seul), tandis que pour ceux de type II et III (ou complexe), c’est la multiplicité, la fréquence et la durée (mois, années), parfois cumulées à l’intensité (aigus et/ou chroniques), des agressions qui vont entrainer et aggraver des complications causées par les traumatismes (traumatismes + stress). Il est très important de noter ici que cette distinction est nécessaire, car la prise en charge qui en résulte sera fondamentalement différente d’un ESPT à l’autre. Or, bien que les ESPT de type III soient les plus nombreux dans notre société, ils sont aussi et malheureusement les plus ignorés quand ils ne sont tout bonnement pas déniés.
Le trauma est une notion différente du stress qui peut soit en être la cause, soit la conséquence, d’où la distinction faîtes entre les divers types d’ESPT recensées. Le DSMIV (n’évoquant que l’ESPT de type I) le désigne ainsi : « Un événement est dit « traumatique » lorsqu’une personne est confrontée à la mort, à la peur de mourir ou lorsque son intégrité physique ou celle d’une autre personne a pu être menacée. Cet événement doit également provoquer une peur intense, un sentiment d’impuissance ou un sentiment d’horreur. »
Le traumatisme complexe qui nous intéresse ici, non reconnu par l’APA et le DSM malgré une littérature abondante sur le sujet (cf. Dissociation et mémoire traumatique, Marianne KEDIA et al), est défini par Judith HERMAN (1992)[2] selon les critères suivants :
- un antécédent d’assujettissement à un contrôle totalitaire sur une période prolongée (mois ou années) ;
- des troubles de l’affect et de la régulation des affects ;
- des attitudes existentielles dépressives ;
- perturbation de la relation aux autres et à soi-même ;
- difficulté à l’évocation des souvenirs traumatiques (somatisation, symptômes dissociatifs).
Et selon d’autres critères dont les symptômes sont communs aux ESPT de type I, tels que les changements dans :
- la régulation des émotions, ce qui peut se traduire par une tristesse persistante, des pensées suicidaires, une colère explosive ou refoulée ;
- l’état de conscience comme l’oubli ou la reviviscence des évènements traumatiques ou des épisodes de détachement de son propre esprit ou de son corps (dissociation traumatique) ;
- la perception de soi, ce qui peut se traduire par un sentiment d’impuissance, de honte, de culpabilité, de stigmatisation ou encore par le sentiment d’être complètement différent des autres ;
- la perception d’une attribution d’une autorité totale à l’auteur du traumatisme ou une préoccupation soudaine par rapport à sa relation avec l’auteur, dont un désir de vengeance ;
- les relations avec les autres, y compris l’isolement, la méfiance ou la recherche constante d’un sauveur ;
- le système de croyances et de valeurs comme la perte de la foi ou le désespoir.
Enfin, précisons que de plus en plus d’auteurs soulignent que des « comorbidités » importantes existent entre le traumatisme complexe et des troubles tels que celui de la personnalité limite ou « borderline », de la personnalité « bipolaire », de la personnalité multiple, les addictions, etc., et de façon plus générale tous les troubles de la personnalité impliquant une dérégulation de l’humeur. Certains vont même jusqu’à prétendre que les personnalités « borderline » souffrent toutes, à la base, d’un traumatisme complexe.
Mais ceci est un tout autre débat qui débute à peine dans la communauté des chercheurs et qui nous éloignerait de trop du thème principal de cet article.
Nous devons les premiers travaux sur le stress à Hans SELYE (dont Henri LABORIT, que nous allons présenter ci-dessous, a été le disciple et l’ami) et à sa théorie de Syndrome Général d’Adaptation. Selon ses travaux et ceux de ses successeurs, le SGA se développe en trois phases :
- La réaction d’alarme : c’est la phase initiale, où apparaissent les premières réactions à l’agression : augmentation de la fréquence cardiaque, hyperventilation, sudation, réaction épidermique, modification de la circulation sanguine dans l’ensemble de l’organisme, etc.
- Le stade de résistance : le corps s’adapte à l’agression.
- Le stade d’épuisement : les défenses immunitaires sont dépassées par le stress chronique : nous tombons malades ou nous mourrons parce que nos capacités de résistance sont débordées par les agressions externes.
On estime aujourd’hui que le stress est présent dans près de 90 % des pathologies (comme facteur aggravant ou déclenchant). Selon les thèses que des neuroscientifiques, médecins, etc. sont de plus en plus nombreux à soutenir, une émotion négative telle que la peur (qui emprunte les mêmes circuits neuronaux que le stress avec lequel elle est associée dans l’étiologie de très nombreuses maladies physique et/ou psychique) peut causer des dégâts irréversibles dans l’organisme, tout du moins, tant qu’elle n’aura pas été correctement traitée comme c’est généralement le cas à l’heure actuelle (Et si la maladie n’était pas un hasard ? du Dr Pierre-Jean THOMAS-LAMOTTE, cf. interview écrite ici et là).
La présentation des écrits du Dr Pierre-Jean THOMAS-LAMOTTE me permet d’évoquer un autre courant biologisant des psychopathologies qui est celui de la psychosomatique (qui a donné naissance à une toute nouvelle discipline appelée la psycho-neuro-immunologie – PNI – ou psycho-neuro-endocrino-immunologie – PNEI – selon les promoteurs) développée à la suite des travaux d’Henri LABORIT et de quelques autres précurseurs. Ce qui devrait éclairer le lecteur sur les dégâts qu’un stress chronique peut causer à l’organisme.
Conséquences biologiques du stress :
Présentation de la cage d’inhibition conçue par Henri LABORIT
- Un rat est placé dans une cage à plancher grillagé et séparée en deux compartiments par une cloison, dans laquelle se trouve une porte. Un signal sonore et un flash lumineux sont enclenchés et après quatre secondes un courant électrique est envoyé dans le plancher grillagé. La porte est ouverte. Le rat apprend très vite la relation temporelle entre les signaux sonores et lumineux et la décharge électrique qu’il reçoit dans les pattes. Il ne tarde pas à éviter cette « punition » en passant dans le compartiment adjacent. À peine est-il arrivé que le plancher bascule légèrement et active les signaux et quatre secondes plus tard le choc électrique. Il doit cette fois parcourir le chemin inverse et le jeu de bascule recommence, ainsi que les signaux et le choc électrique. Il est soumis à ce va-et-vient pendant dix minutes par jour pendant huit jours consécutifs. À l’auscultation, son état biologique est excellent.
- Cette fois deux rats sont placés dans la cage, mais la porte de communication est fermée. Ils vont subir le choc électrique sans pouvoir s’enfuir. Rapidement ils se battent, se mordent et se griffent.
Après une expérimentation d’une durée analogue à la phase 1, ils sont auscultés et leur état biologique, à part les morsures et les griffures, est excellent. - Dans cette nouvelle expérience, un rat est placé seul dans la cage avec la porte de communication fermée. Le protocole est identique aux précédentes expérimentations. Au huitième jour, les examens biologiques révèlent :
- une chute de poids importante ;
- une hypertension artérielle qui persiste plusieurs semaines ;
- de multiples lésions ulcéreuses sur l’estomac.
Constatation : L’animal qui peut réagir par la fuite (expérience n°1), ou par la lutte (expérience n°2) ne développe pas de troubles organiques contrairement à l’animal qui ne peut ni fuir ni lutter (expérience n°3), car il se trouve en inhibition de son action et présente des perturbations pathologiques.
Il en est de même pour l’être humain. Dès qu’il se trouve enfermé, coincé dans une situation sans issue et qu’il ne peut réagir par la fuite ni l’attaque il se trouve dans une situation qui provoque des symptômes plus ou moins importants selon son état de santé physique et psychique antérieur et la durée de la situation.
- L’expérience numéro trois est à nouveau proposée à un rat avec le même protocole. Chaque jour l’animal isolé est soumis, immédiatement après les dix minutes d’inhibition dans la cage fermée, à un électrochoc convulsivant avec coma. Au bout des huit jours, et malgré l’intensité agressive de l’électrochoc, l’état de santé du rat est excellent. Dans cette expérience il est démontré que l’électrochoc interdit le passage de la mémoire immédiate, à court terme, à la mémoire à long terme. L’oubli forcé est ici, pour le rat, un moyen efficace de sauvegarde face à une situation inhibitrice qui se répète.
Par la suite, Henri LABORIT a découvert que la mémoire d’une action gratifiante n’utilise pas les mêmes voies centrales, ni les mêmes médiateurs que celles d’une punition. Cela lui a permis de mettre en évidence des médiateurs biochimiques capables de rétablir la mémoire de l’inhibition ou d’en favoriser l’oubli. Les découvertes scientifiques de LABORIT permettent de comprendre que pratiquement l’essentiel des accidents physiopathologiques est sous la dépendance des rapports entre l’individu et son environnement, particulièrement social. S’il existe des facteurs multiples, microbiens viraux, génétiques, à l’origine des infections et des processus tumoraux, un système immunitaire efficace est généralement capable d’empêcher leur développement.
(Pour approfondir : Henri LABORIT sur Le blogue du Cerveau à tous les niveaux. LE site de référence de tous les professionnels de la santé mentale pour suivre l’actualité des découvertes réalisées sur le cerveau humain… en attendant les résultats de l’Human Brain Project).
Mais que se passe-t-il dans notre cerveau quand l’homéostasie de notre organisme est bouleversée au point que notre corps produise des réactions de défenses « inadaptées[3] » pouvant aller jusqu’à provoquer sa propre autodestruction ?
Conséquences neurologiques du stress[4] :
Si les études sur le cerveau et les émotions n’en sont qu’à leur début (compte tenu des progrès techniques réalisés ces dernières années sur les différents appareils de mesure de l’activité cérébrale), certains circuits neuronaux ont plus particulièrement été étudiés et nous les connaissons désormais suffisamment pour en tirer un certain nombre de conclusions. Le réseau neuroendocrinien du stress, de la peur, de l’anxiété et de l’angoisse est probablement, à l’heure actuelle, le plus connu de toutes les interactions/rétroactions des différentes aires corticales entre elles et notre système nerveux autonome.
Les voies qu’empruntent les stimuli provenant de notre environnement sont de deux ordres : l’une courte et rapide (stimulus ==> thalamus ==> amygdale ==> réponse émotionnelle) et l’autre longue et plus lente (stimulus ==> thalamus ==> cortex préfrontal (plusieurs aires) ==> hippocampe ==> amygdale ==> réponse émotionnelle).
Des schémas explicites relatifs à ces deux trajets que suit l’information sensorielle pénétrant notre système mental et la façon dont elle est traitée sont disponibles à l’article sur L’amygdale et ses alliés (cf. Le cerveau à tous les niveaux, débutant, intermédiaire et avancé).
Ainsi, face à un évènement évalué comme étant potentiellement dangereux par nos sens, notre réponse émotionnelle nous conduit à la fuite (expérience 1 de la cage d’inhibition d’Henri LABORIT), à la lutte (expérience 2 ci-dessus) ou à la résignation (l’inhibition de l’action mise en évidence par l’expérience 3).
Explications :
Lors d’une situation de stress, le thalamus, véritable gare de triage de l’information, alerte l’amygdale qui, selon la menace, va moduler l’intensité de sa réponse. Lorsque le danger détecté risque de mettre en péril l’intégrité physique ET/OU psychique du sujet, l’amygdale est activée (voie courte) et prépare l’organisme à la fuite (expérience 1 de la cage d’inhibition) ou à la lutte (expérience 2).
D’après la théorie évolutionniste, la survie de notre espèce dépend de notre réactivité au danger, fonction gérée par notre cerveau reptilien où le rôle majeur de l’amygdale est de préparer le corps à la fuite ou à la lutte favorisant en conséquence la voie courte (voir supra). L’amygdale exerce donc un contrôle sur l’analyse du stimulus perçu. Elle provoque une « dissociation[5] » entre le cerveau limbique ou le cerveau des émotions et le cortex cérébral, siège de la conscience et de la raison, pour favoriser la voie courte au travers de notre encéphale et répondre ainsi plus rapidement au danger pressenti (c’est ce qui se produit chez un individu lorsque nous le voyons « disjoncter » ou « péter les plombs » sans raison apparente).
Dans l’un ou l’autre de ces deux cas (fuite ou lutte), le « calme » revient progressivement au fur et à mesure de l’éloignement dans le temps de l’évènement stressant. Durant cette période, qui selon la nature de l’évènement peut parfois prendre plusieurs jours, le stimulus « agressif » va être analysé (voie longue) sous divers plans (objet, concept) par différentes aires de notre cortex préfrontal puis être transmis à l’hippocampe (contexte) qui modulera (en sens inverse de l’intensité de la menace initiale identifiée) la réaction de l’amygdale afin qu’elle retrouve son état de « veille » normal. Ce cheminement de l’information au travers de notre cortex préfrontal va permettre à notre conscience de lui donner sens et de l’inscrire dans la zone de notre cerveau qui gère la mémoire événementielle (hippocampe). L’apprentissage de la situation qui s’effectue ainsi permettra à notre amygdale de répondre de façon adaptée lorsqu’une situation similaire se présentera à nouveau.
Mais lorsque l’amygdale est constamment « titillée » comme dans le cas d’un traumatisme complexe, celle-ci reste active envoyant des messages d’alerte aux différentes parties de l’organisme qui se maintiennent ainsi dans un état d’excitation permanent. Le seuil de sensibilité de l’amygdale s’abaisse considérablement et les évènements anodins de la vie quotidienne deviennent alors des sources potentielles de danger, car ils ne sont plus analysés par la voie longue du circuit que suit l’information dans les différentes parties de notre cortex.
Dans cette configuration, les hormones du stress (adrénaline et cortisol) sont produites en surabondance et notre système de défense ne parvient plus à les résorber. Elles deviennent alors toxiques pour l’organisme. Le corps et le cerveau se dérèglent et s’épuisent. Les cellules neurales qui ne sont plus sollicitées meurent (règle d’or de la plasticité du cerveau, cf. Les étonnants pouvoirs de transformation du cerveau de Norman DOIDGE) : c’est le « décervelage », ou le « meurtre psychique », décrié par tous les spécialistes du trauma complexe. L’homéostasie est fortement perturbée et pour compenser ce déséquilibre diverses stratégies d’adaptation conscientes et/ou inconscientes vont être mises en place pour échapper aux dangers constants détectés par « erreur » (accoutumance) par notre amygdale.
Ce climat d’insécurité mentale et émotionnelle perpétuel va nourrir le sentiment d’angoisse que développent les personnes soumises à ce traitement et va produire les nombreux troubles qui sont corrélés avec un traumatisme complexe, mais dont la détection est rare, ce qui ne manque pas d’entrainer le sujet traumatisé dans une ronde infernale de prises en charge inefficaces et inutiles, car les thérapies utilisées s’appliquent bien plus à traiter le symptôme (bien souvent un seul parmi la multiplicité qui atteste d’un ESPT complexe) que la cause (le traumatisme en lui-même).
Face à cette répétition d’échecs qui crée un « polytraumatisme » psychique, la victime va se tourner vers « l’automédication » et adopter des conduites « à risques » (alcool, drogue, jeux dangereux, surmédication, etc.) et si sa « sensibilité » lui a appris qu’il est vain de faire appel à une aide extérieure elle adoptera directement ce type de pratique sans jamais faire appel à la médecine.
Ces attitudes, nous le comprenons mieux maintenant, ne font que renforcer le déséquilibre instauré par le trauma qui dans ce contexte, et pour « arranger » encore plus les choses, viennent alimenter ce que les psychotraumatologues appellent : la mémoire traumatique[6].
Voici comment la Dre Muriel SALMONA reconnue pour ses travaux sur la mémoire traumatique résume le phénomène : « Les troubles psychotraumatiques sont générés par des situations de peur et de stress extrêmes provoquées par les violences. Ces violences terrorisantes, incohérentes et impensables créent un tel sentiment d’impuissance et d’effroi, qu’elles vont pétrifier le psychisme. Elles sidèrent et mettent en panne le cortex cérébral de telle sorte qu’il ne pourra plus jouer son rôle de modérateur ou d’extincteur de la réponse émotionnelle. La réponse émotionnelle en situation de danger est déclenchée par l’amygdale cérébrale (Ledoux, 1997). L’amygdale cérébrale est une petite structure sous-corticale qui contrôle la mémoire émotionnelle, ainsi que l’expression des réponses émotionnelles. Elle joue un rôle d’alarme et prépare l’organisme à réagir face au danger en commandant la sécrétion, par les surrénales, d’hormones de stress :: l’adrénaline et le cortisol, qui vont avoir pour effet d’augmenter la quantité d’oxygène et de glucose dans le sang. En cas de sidération du cortex cérébral, la réponse émotionnelle monte alors en puissance sans rien pour l’arrêter et atteint un stade de stress dépassé qui représente un risque vital par “survoltage” pour l’organisme : cardio-vasculaire (surproduction d’adrénaline, avec un risque d’ischémie myocardique) et neurologique (surproduction de cortisol, avec un risque de mort neuronale et d’atteintes dendritiques qui peut s’accompagner de crise comitiale, de perte de connaissance et d’amnésie lacunaire). Ce risque vital impose la mise en place par le cerveau de mécanismes de sauvegarde neurobiologiques exceptionnels sous la forme d’une disjonction. C’est un court-circuit qui isole l’amygdale cérébrale et permet d’éteindre la réponse émotionnelle, protégeant ainsi le cœur et le cerveau. La disjonction du circuit émotionnel se fait entre autres à l’aide de la libération par le cerveau de neuromédiateurs qui sont des drogues dures endogènes morphine-like et kéta mine-like : endorphines (morphines endogènes sécrétées au niveau de l’hypophyse et de la substance grise périaqueducale) et substances antagonistes des récepteurs NMDA (N-Méthyl-D-Aspartate) du système glutamatergique (avec effet dissociant Kétamine-like)[7]. »
Bref, c’est un cercle particulièrement vicieux, addictogène, qui, dans la majorité des cas, réserve une longue descente aux enfers aux personnes exposées à un traumatisme complexe, car cette « dynamique » provoque une importante douleur psychique qui n’a absolument rien à voir avec la supposée faiblesse de ce type de victimes qui se trouvent confrontés à un processus mortifère impossible à verbaliser (confrontation, non pas à un danger de mort violente comme dans l’ESPT de type I, mais à un danger de mort « diffus » incompréhensible et particulièrement pernicieux parce qu’irreprésentable). Les personnes soumises à ce genre de maltraitance vont adopter des stratégies de survie et d’évitement qui entrainent une perte de confiance en soi, un sentiment de honte, de culpabilité, d’inutilité, d’échec, etc. et induisent, lorsque la souffrance devient insupportable, une dissociation permanente. Il y a « chronicisation » du processus.
C’est dans les différentes stratégies d’adaptation mise en place par une personne pour compenser ce déséquilibre acquis que nous retrouverons la description des pervers narcissiques et de leur victime.
Pour cette dernière, la stratégie adoptée sera principalement l’inhibition de l’action face au danger (qui dans notre société se présente sous la forme de conflits dans une perspective d’ESPT de type II ou III) avec les conséquences délétères pour la santé que nous avons très succinctement abordées ici. Quant aux pervers narcissiques, nous aborderons la question dans un prochain article qui proposera une synthèse entre les différentes approches qui l’abordent.
L’inhibition de l’action est un concept primordial dans le sens où il explique et répond à la question maintes fois soulevée par l’incompréhension des observateurs extérieurs à ce type de violence telle que : « Pourquoi elles (les victimes) ne partent pas ? » et qui objectent des arguments iniques tels que : « Tu m’es méchant, je me casse ! » ; mais également parce qu’il démontre, bien mieux encore que celui de la soumission à l’autorité de Stanley MILGRAM, pourquoi nous réagissons passivement face à la violence… et aux injonctions paradoxales(cf. les articles Le « pouvoir », les « crises », la communication paradoxale et « l’effort pour rendre l’autre fou », Comprendre l’emprise : la relation en-pire, et La « novlangue » des psychopathes).
Enfin, l’inhibition de l’action est à rapprocher d’un autre concept proposé en 1975 par Martin SELIGMAN sous le nom d’impuissance apprise (impuissance acquise ou résignation apprise) dont on peut se poser la question de savoir pourquoi cette idée prédomine aujourd’hui sur celle d’Henri LABORIT qui lui est antérieure, plus complète et bien plus signifiante (j’en connais la réponse et elle tient au respect de la doxa dominante – cf. Peut-on faire confiance à notre jugement : la fiabilité des « experts » en cause –, mais le lecteur curieux aurait tout intérêt à la trouver lui-même, car je ne voudrais pas « exciter » son amygdale en lui offrant la solution sur un plateau).
Dès lors, on peut facilement comprendre le déni de la reconnaissance de ce concept dont les plus farouches défenseurs du DSM ne manquent pas de faire preuve et l’embarra dans lequel il place la psychiatrie légale. En effet, dans l’hypothèse où cet argument serait validé, il remettrait en cause la quasi-totalité des critères nosographiques qui se basent sur la dissociation pour évaluer un trouble de la personnalité. Ce qui représente une grande partie du DSM. Je vous laisse le soin d’imaginer le « séisme » que cela provoquerait dans la profession.
Pour finir, sans toutefois développer cet autre aspect de la problématique que nous venons d’évoquer pour ne pas surcharger cet article, la violence (physique ET/OU psychique) altère nos gènes. Deux chercheuses de l’université de Californie, Élisabeth BLACKBURN, biologiste prix Nobel de médecine en 2009 pour ses travaux en épigénétique et Elissa EPEL, psychiatre, ont pu démontrer que « nos états d’âme modifient notre ADN » (à lire sur le Science & Vie n° 1110 de mars 2010 et sur une courte synthèse des découvertes d’Élisabeth BLACBURN : une présentation en deux pages avec schéma explicatif). En 2011, l’équipe du professeur Alain MALAFOSSE de l’université de Genève faisait paraître un article dans la revue Transnational psychiatry sur « La maltraitance dans l’enfance laisse des traces génétiques ». Cet article a été repris sur le site de la célèbre revue internationale Nature.com : Increased methylation of glucocorticoid receptor gene (NR3C1) in adults with a history of childhood maltreatment : a link with the severity and type of trauma(« Augmentation de la méthylation du gène du récepteur des glucocorticoïdes (NR3C1) chez les adultes ayant des antécédents de maltraitance de l’enfant : un lien avec la gravité et le type de traumatisme »). En 2012, c’est une autre équipe de chercheurs de l’université de Genève qui a mis en évidence le fait que les traumatismes laissent une trace biologique dans l’ADN des victimes et de leur descendance (sur au moins trois générations). Le 1er juin dernier (2013), c’est un communiqué de presse de l’institut DOUGLAS, centre de recherche de l’université Mc GILL du CANADA, qui annoncé que « Les mauvais traitements subis pendant l’enfance laissent des traces dans le cerveau » en affectant les processus de neurogenèse et de plasticité du cerveau.
Autant de données qui viennent étayer la thèse que défendent depuis déjà longtemps les psychanalystes et les systémiciens qui ont analysé les interactions en jeu dans les groupes et les familles (à titre d’exemple : l’article La transmission transgénérationnelle des traumatismes et des souffrances non-dîtes de Florence CALICIS).
Les preuves de la nocivité des maltraitances infantiles et des traumatismes (simples ou complexes) s’accumulent de par le monde et malgré quelques annonces très « sectatrices » concernant la prise en compte de ce fléau par nos divers gouvernements, la réalité de la situation reste que la France possède près d’un demi-siècle de retard dans la prise en compte de cette problématique par les politiques publiques…
Affaire à suivre !
Philippe VERGNES
Bibliographie succincte :
Victimologie, volume 1, de l’effraction du lien intersubjectif à la restauration sociale de Robert CARIO, fondateur à l’université de PAU du DESS de victimologie
Victimologie, volume 2, les textes essentiels de Robert CARIO
Enfant exposé aux violences familiales de Robert CARIO
Victimologie, de Gérard LOPEZ créateur en 1993 du premier diplôme de victimologie à l’université PARIS DESCARTES.
Le vampirisme au quotidien, réflexion sur Dracula et la psychologie des vampires réédité sous le titre Comment ne plus être victime de Gérard LOPEZ
Enfants violés et violentés : le scandale ignoré de Gérard LOPEZ (son interview par Flavie FLAMENT sur RTL.fr en lien dans l’article)
Maltraitances, enfants en souffrance de Pierre LASSUS
Victime-agresseur, tome 4 sous la direction de Philippe BESSOLES et Louis CROCQ
Honte, culpabilité et traumatisme d’Albert CICCONE et Alain FERRANT
Le traumatisme psychique de François LEBIGOT
Et sans les citer un à un pour ne pas en omettre, les ouvrages indispensables sur la pédagogie noire dénoncée par Alice MILLER décédée en France en 2010 dans un silence assourdissant des médias et de la communauté psy.
Sites Internet utiles :
Centre d’étude sur le stress humain CESH de l’institut universitaire de MONTRÉAL.
Il existe sur le stress de nombreux sites qui communiquent des informations sur le stress tel que, par exemple celui du ministère du Travail, de l’emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social dont les « travaux » ont donné lieu à la rédaction d’un Livre blanc sur le stress au travail qui se révèle être si « blanc » qu’il serait nécessaire de rédiger un livre noir sur le stress au travail pour dévoiler toutes les « absurdités » qu’il contient (au milieu de quelques vérités ce qui rend toujours l’exercice difficile et délicat), aussi je préfère me contenter de ne citer qu’un seul lien, d’origine universitaire, qui se montre l’un des plus objectifs et impartial sur le sujet.
iTrauma de l’institut DOUGLAS et l’université Mc GILL au CANADA : une mine d’informations interactives à la pointe de la recherche sur le trauma.
Institut de Victimologie du Dr Gérard LOPEZ.
Mémoire traumatique et victimologie de la Dre Muriel SALMONA.
[3] Ces réactions ne sont en fait nullement inadaptées ; tout au contraire : elles sont parfaitement adaptées et suivent une logique d’une précision « diabolique » (cf. Le principe de Lucifer, Tome I et II de Howard BLOOM).
[4] Pour approfondir le sujet, lire l’excellent article Médecine : le stress, un problème biochimique paru sur le site Santé & Travail.
[5] La dissociation est un concept phare dans la recherche en santé mentale qui a connu des fortunes diverses. Ce terme a été supplanté pendant près d’un demi-siècle par celui de « schizophrène » initialement inventé par le psychiatre suisse Eugen BLEULER. Actuellement, sous l’influence de divers courants rattachés à l’étude des ESPT, la tendance est à un « renversement » qui va dans le sens d’une acceptation de cette notion telle qu’initialement définie par Pierre JANET, médecin, psychologue et philosophe français. C’est au sens « janétien » du terme que le concept de dissociation est présenté dans ce texte (attention aux distinctions faîtes parmi les troubles dissociatifs, ce dont il est question ici, le syndrome dissociatif et la dissociation mentale). Pour une synthèse actuelle de l’utilisation clinique et un historique complet de cette expression, se référer au livre Dissociation et mémoire traumatique de Marianne KEDIA et al.
[6] « La mémoire traumatique est un trouble de la mémoire émotionnelle. Conséquence de traumatismes graves, elle est liée à la fois à des mécanismes de sauvegarde exceptionnels mis en place quand les capacités de défense normale d’un individu sont débordées par un stress extrême, et au circuit de peur conditionnée permanent qui s’installe ensuite. Elle est à l’origine des symptômes psychotraumatiques les plus graves et les plus chroniques, ayant les impacts les plus négatifs sur la qualité de vie des victimes. Son identification, la compréhension de ses mécanismes et son traitement sont essentiels pour une bonne prise en charge des victimes de traumatismes. Ces dernières années, les mécanismes neuro-biologiques et neuro-physiologiques qui la sous-tendent commencent à être bien connus. Ils permettent d’élaborer des modèles théoriques éclairant de nombreux symptômes psychotraumatiques, mais aussi les troubles de la personnalité, les troubles de conduites (particulièrement conduites à risque et les addictions) et les troubles du comportement souvent présent chez ces victimes. Études cliniques et recherche fondamentale en neurosciences s’associent, comme le souhaitait FREUD, pour proposer un modèle explicatif cohérent, utilisable pour la clinique et le traitement. » Dre Muriel SALMONA, in L’aide mémoire en psychotraumatologie, première édition de 2008, p. 153.
[7] Voir l’article Mémoire traumatique et conduites dissociantes, Dre Muriel SALMONA, 2012.