Victor, sur l’interview publique par France 5 Télévision du Dr.Rufo en date du 03.12.2012
La plupart du temps, les réactions de l’entourage envers nous sont soit la fuite comme devant des lépreux, soit le commandement d’effacer notre passé dérangeant (comme si c’était possible), soit encore le pur déni ou pis : des accusations de mensonge ou d’avoir été sexuellement vicieux.
Qu’un médecin vienne maintenant s’afficher sur les écrans d’une chaîne de télévision de grande audience en tenant des propos alentour de nos prétendus délires et je cite « reconstruction délirante de l’agresseur qui existe fondu comme ça dans son histoire »2 à propos d’un agresseur imaginaire, relayant par là une théorie psychanalytique du fond des âges (donc ni scientifique ni médicale), c’est une première récente et, pour le moins, profondément injuste.
Qu’il cumule en assurant gratuitement devant le grand public désinformé (comme lui-même apparemment et je suppose qu’en en assumant toute la responsabilité) : «L’immense majorité des enfants « abusés » vont bien ! … À distance après le sévice…, ils ont bien sûr des craintes un peu précises mais elles vont bien dans leur vie amoureuse, sexuelle, personnelle, professionnelle… donc, en quelques sortes, un abus ne peut pas entraîner un tel dégât sauf si la vulnérabilité et la fragilité du sujet vient faire que l’abus renforce cette pathologie d’organisation. »1, c’est un incroyable et intolérable déni fait aux souffrances de près d’un tiers de la population mondiale et, comme tel, inadmissible, intolérable et grave !
« On » n’aime pas que nous nous plaignions. Mais vous vous apercevrez qu’il ne s’agit pas de se plaindre mais de nous battre. Si nous en parlons néanmoins, nous le faisons par souci de témoignage, en ne révélant qu’une pointe de l’iceberg car nous savons que 95% des gens souffrent de honte (la gêne).
Il faut rendre public, je crois, le travail sur soi que les victimes d’inceste ou de pédocriminalité doivent réaliser pour survivre. Car il nous faut des siècles pour retrouver une vie à peu près normale. Croyez-moi, nous vivons une existence responsable mais dans un climat de guerre de façon permanente, dû au stress post traumatique qui nous affecte à vie.
De plus, je dois dire que nous n’avons pas à oublier d’où nous venons et ce qui nous est arrivé ni les innombrables séquelles psychiques et physiques qui nous ont affecté/es (voir la mention des « non-lieu apaisants»3)! Il s’agit en effet de notre identité, nous devons l’apprivoiser et en faire quelque chose… Surmonter et dépasser la douleur est notre travail prioritaire et le vôtre, peut-être, serait envers nous juste un peu de compassion et d’empathie.
Cette arrogance envers nous et dont nous avons maintenant un échantillon dans ces diagnostics rendus en public, « à bon marché » suivant l’expression populaire, sur base d’un simple coup de téléphone, sans avoir vu ni écouté la personne concernée, sont impies.
Les familles affectent d’ignorer, la plupart du temps, la destinée qui est nôtre depuis l’enfance. Mais les conséquences surdimensionnées qui s’ajoutent aux agressions physiques et sexuelles sont justement ce déni et ce silence écrasant dont on nous assassine, donc aussi l’absence totale et irresponsable de soins et, malheureusement encore, cet ostracisme qui nous est fait à cause des crimes subis, de nos maux et de notre vulnérabilité. Elles nous entraînent dans des échecs chaque fois pires dans tous les domaines de l’existence.
Aujourd’hui, il existe des spécialistes et des instituts de Victimologie que vous ne pouvez plus ignorer. Et si vous continuez dans vos attitudes à notre égard, cela devient de la méchanceté en plus de l’arrogance (il y a suffisamment d’ouvrages en vulgarisation pour que vous vous informiez).
Cela devient réellement un manquement envers toute la partie de la société affectée (et envers toute la société civile vu les coûts exorbitants qu’elle supporte en conséquence de ce manquement).
Nous devons déjà répondre à toutes sortes d’interrogatoires souvent peu délicats sur la manière dont les crimes ont été perpétrés sur nos personnes. Et malgré ça, nous prenons très fréquemment les devants pour vous avertir des dangers que vos enfants peuvent courir face à l’omniprésence des prédateurs.
Bref, je vous rappelle ici notre droit à exister, je vous rappelle que nous faisons partie de votre société à près de 33% et que vous n’avez absolument aucun droit de nous tenir à distance, à cause de nos souffrances, sous le prétexte de préjugés qui se sont formés au cours des années et des siècles alentour des victimes d’agressions sexuelles. Ces préjugés culturels se sont formés de par des jugements à l’emporte-pièce, de façon généralisée ou plus précisément par des géniteurs ou des éducateurs ou des magistrats ou des forces de police et comme dans ce cas par des médecins peu sérieux et en totale contravention avec la déontologie, dans « l’oubli » qu’ils désirent faire à la gravité de nos traumatismes.
Et tout autant dans l’incompétence de personnes concernées ne voulant pas s’informer de façon adéquate et dans leur passivité complice du non respect de nos droits juridiques comme victimes.
Après avoir travaillé moi-même durant plus de 15 ans en lien avec différentes associations de secours aux victimes d’inceste, d’agressions sexuelles continues dans l’enfance et/ou de viols, après avoir moi-même vécu toute une existence dans l’échec scolaire, relationnel, conjugal, souffert de maux d’origine psychosomatiques fixés dorénavant en invalidités, je témoigne ici des réelles condamnations existentielles graves dont souffrent ces victimes auxquelles on a nié la reconnaissance du traumatisme dans de semblables théories ou attitudes d’évitement gravement irresponsables.
Concernant la phrase sur les non-lieux « apaisants » pour le Docteur Rufo, seule une pensée me vient que je traduirais par « indifférence face aux réalités du viol, indifférence face aux réalités du droit naturel, conformisme encore une fois bon-marché ».
1, 2 et 3 : citations extraites de l’interview publique par France 5 Télévision du Dr.Rufo en date du 03.12.2012