Violences sexuelles dans l’enfance : quelles conséquences somatiques et psychosexuelles ?

Source article Medscape, lundi 3 juin 2024 de Raphaëlle de Tappie

France— En France, une femme sur cinq et un homme sur quatorze déclarent avoir subi des violences sexuelles. D’après l’Unicef, 81% de ces victimes auraient été agressées avant 18 ans, 51% avant 11 ans et 21% avant 6 ans. Plus effrayant encore : la majorité des violences sexuelles commises sur mineurs ont lieu dans le cadre familial. Sans surprise, ces agressions laissent des traces, psychiques, sexuelles et même parfois somatiques. D’où l’importance de professionnels de santé alertes sur le sujet et unis dans la prise en charge des victimes, nous explique ici la Dre Marie-Laure Gamet, spécialisée en médecine sexuelle, praticienne hospitalière au CHU de Lille, vice-présidente de l’AIUS association interdisciplinaire post universitaire de sexologie et membre de la SFMS (Société Francophone de Médecine Sexuelle). Elle est, par ailleurs, l’autrice de Les violences sexuelles des mineurs. Victimes et auteurs : de la parole aux soins.

Medscape : Quelles peuvent-être les conséquences d’une agression sexuelle chez un mineur ?

Marie-Laure Gamet : Elles peuvent être psychiques, sexuelles et somatiques avec des effets sur la santé à long terme. On sait que les personnes qui ont été agressées sexuellement souffrent davantage de syndromes anxio-dépressifs, de risque suicidaire mais aussi de diabète ou de problèmes coronariens à l’âge adulte. Quant à la sexualité, elle est souvent problématique. Pour éviter tout cela, le soin des victimes est extrêmement important, il faut s’en préoccuper le plus tôt possible. Tous les professionnels de l’enfance, qu’il s’agisse du médecin généraliste, de l’infirmière scolaire, du psy, de l’orthophoniste ou du pédiatre, doivent donc être impliqués dans le repérage des violences sexuelles.

Quels signes doivent alerter ?

Marie-Laure Gamet : Chez l’enfant, il faut s’interroger face à des changements de comportement, soudains ou progressifs car il ne parlera pas spontanément d’une agression sexuelle, il ignore ce qu’est la sexualité. Il pourra par exemple se renfermer sur lui-même, devenir plus inhibé ou au contraire plus agressif. Un enfant en bonne santé joue. S’il cesse de jouer, ne s’intéresse plus à son environnement comme avant, s’il a peur d’aller se coucher et met en place des rites le soir, en vérifiant par exemple que personne n’est dans sa chambre, il faudra se questionner. De manière globale, les troubles du sommeil doivent interroger, ainsi que ceux du comportement alimentaire. Enfin, il arrive que la victime se plaigne de son corps, mais pas forcément au niveau des organes sexuels. L’enfant souffrira de céphalées, de douleurs abdominales… Quant à la jeune ado, elle pourra subir des syndromes génitaux urinaires ou des aménorrhées.

Que se passe-t-il dans le cerveau d’un jeune agressé ?

Marie-Laure Gamet : La victime est littéralement sidérée par ce qui s’est passé, elle ne sait pas quoi faire et ne parvient pas à parler. Elle ne comprend pas pourquoi elle n’a pas pu réagir et s’en veut. Elle est comme anéantie, la vie s’arrête. Dans son cerveau se mettent en place des mécanismes neurobiologiques de sauvegarde. Cela peut engendrer une mémoire traumatique sur le long terme : si elle croise un jour quelqu’un qui lui rappelle son agresseur, des mécanismes du stress s’instaureront. Dans les violences de manière générale, et encore plus dans les violences sexuelles puisqu’elles sont de l’ordre de l’intime, l’impact du silence est majeur car nous évoluons dans une société où le sujet reste très tabou. Si un ado est agressé alors qu’il est en train de découvrir cette nouvelle composante de la vie qu’est la sexualité, ce peut être très compliqué pour lui d’en parler. Quant aux enfants victimes avant la puberté, ils pourront souffrir de réviviscences traumatiques quand leur corps commencera à changer, soudainement revivre ce que leur cerveau avait occulté pour les protéger et commencer à développer des syndromes anxieux, dépressifs, des troubles du comportement alimentaire ou du sommeil…A terme, un jeune dont la trajectoire sexuelle a été abîmée risque de développer des conduites sexuelles agressives pour les autres s’il n’est pas pris en charge correctement.

Comment le médecin peut-il aborder la question des violences sexuelles ?

Marie-Laure Gamet : De plus en plus de médecins prennent l’habitude d’interroger cette dimension du développement des enfants. Ils sont au premier plan pour parler du corps avec les jeunes. Ils surveillent leur croissance et peuvent les interroger sur la perception qu’ils ont de leurs corps. Il faut leur expliquer comment celui-ci se transforme, mettre des mots sur la puberté. Face à quelque chose qu’un médecin ne comprend pas chez son jeune patient, il est important de penser à la maltraitance, particulièrement sexuelle, et d’orienter le dialogue en conséquence.

Une fois les traumatismes détectés, quels sont les différents types de prise en charge ?

Marie-Laure Gamet : Quand l’agression vient de se produire, il faut immédiatement envoyer la victime aux urgences des hôpitaux pédiatriques ou adultes (le délai est de 72 heures pour des prélèvements). Mais malheureusement, dans la plupart des cas, on apprend l’agression bien longtemps après qu’elle a eu lieu. Aussi, la prise en charge s’organisera plus tard et devra être pluri disciplinaire. L’EMDR peut être une solution, en cas de réminiscences traumatiques importantes. Il existe également des traitements médicamenteux pour apaiser les états de dissociation. Concernant les conséquences sur le développement sexuel des enfants, une fois les symptômes identifiés, l’enfant devra être évalué par un médecin ou un psy formé en sexologie pour une prise en charge de médecine sexuelle. A mon niveau, je travaille avec une prise en charge développée selon le mode des Thérapies Comportementales et Cognitives (TCC) troisième génération pour nouer un dialogue avec les enfants ou les ados victimes de façon adaptée à la situation. L’objectif est qu’ils retrouvent une trajectoire de développement sexuel pour s’apaiser

Que faire quand on a un doute ?

Marie-Laure Gamet : Il ne faut pas avoir peur d’interroger quand on se questionne. Les professionnels de santé ont une obligation de signalement. Toute suspicion de violence sexuelle ou d’inceste doit être signalée aux autorités pour qu’une enquête soit menée. Dans le passé, on a souvent craint d’alerter mais on sait aujourd’hui que le silence n’a jamais permis de lutter contre les violences sexuelles. C’est pourquoi, il est important que l’ensemble des professionnels de santé s’inscrivent dans un réseau. Dans chaque région, il existe des centres ressources pour la prise en charge des psycho traumatismes et d’autres pour les auteurs de violences sexuelles. Il existe aussi de nombreuses associations qui effectuent un travail extraordinaire dans l’accompagnement des victimes. C’est parfois par le biais d’une association de victimes que le jeune comprendra à quel point il est important pour lui d’être accompagné de professionnels de santé. Aussi, n’hésitez pas à vous inscrire dans un réseau associatif, institutionnel, sanitaire et médico-social et à décrocher votre téléphone pour demander de l’aide. Il ne faut pas rester seul face aux violences sexuelles. Dans la lutte contre ce fléau de santé publique, tout le monde est concerné.

Les violences sexuelles des mineurs. Victimes et auteurs : de la parole aux soins. Marie-Laure Gamet, Claudine Moïse. Ed Dunod. 240 pages.

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