Viols, agressions sexuelles : pourquoi déposer plainte
Par Carine Durrieu Diebolt, Avocate.
Nombre de victimes de violences sexuelles ne déposent pas plainte (seulement 8% le font et 1% des agresseurs sont condamnés).
La décision appartient entièrement à la victime et il est vrai que les procédures sont éprouvantes. Il faut aussi le temps de se reconstruire avant d’engager des poursuites et il est important de respecter ce temps de la victime.
Les raisons alléguées par les victimes qui craignent de déposer plainte sont récurrentes : la culpabilité, la volonté de préserver les proches ou la crainte de représailles (dans 80% des cas, les viols sont commis par des proches) ou le manque de preuve et l’absence de souvenirs précis.
Pour autant, on ne peut laisser croire que dénoncer les faits fait du tort aux proches, que l’on peut vivre après une agression ou un viol comme si de rien n’était, et que l’agresseur ne recommencera pas.
Déposer plainte peut s’avérer bénéfique (un soulagement selon certaines victimes) même si elles craignent la procédure.
Dans ce processus judiciaire, le rôle de l’avocat est primordial. Il est le principal interlocuteur des victimes, un accompagnateur, un conseiller, un stratège et son porte parole.
S’agissant d’un contentieux transdisciplinaire, la formation de l’avocat, sensibilisé notamment aux stratégies de l’agresseur et au psycho traumatisme peut s’avérer déterminante.
La culpabilité, la crainte que la situation ne se retourne contre la victime :
- L’inversion des responsabilités :
La culpabilité, l’inversion des responsabilités s’inscrivent dans la stratégie de l’agresseur. Mais, pourquoi la victime se sentirait-elle coupable alors que l’agresseur vivrait dans l’impunité ?
La spécificité des violences sexuelles c’est le sentiment d’être sali, de honte, de culpabilité. Contrairement à d’autres violences, la victime se rejette car elle a été « chosifiée », humiliée.
Pour rétablir l’ordre des responsabilités, il est possible d’aider la victime à écrire son récit en donnant du sens aux faits : elle avait le droit de s’habiller en mini jupe tandis que l’agresseur n’avait pas le droit de lui toucher les fesses ; la victime avait le droit de l’inviter dans son appartement, l’agresseur n’avait pas le droit de l’embrasser contre sa volonté ; elle avait le droit de boire de l’alcool à une soirée, il n’avait pas le droit de profiter d’elle dans les toilettes…
L’avocat doit décrire la stratégie de l’agresseur que l’on retrouve dans les dossiers de violences sexuelles :
- Le choix d’une victime vulnérable (vulnérabilité familiale, professionnelle ou autre),
- La mise en confiance (aide, soutien, sympathie…),
- L’isolement géographique, social,…
- Le climat de peur et d’insécurité (il se présente comme tout puissant, en capacité de revenir à tout moment, en usant de menaces ou de représailles),
- La dévalorisation, l’humiliation (dénigrer, critiquer, moquer, insulter, palper, affaiblir avec la double conséquence qu’elle ne répliquera plus et qu’elle perdra ses repères),
- L’inversion des culpabilités (elle l’a aguichée, elle n’a pas fixé les limites, elle avait bu…) et enfin,
- Et enfin, son impunité (en recrutant des alliés, en impliquant la victime dans le déroulement des faits, en scellant la loi du secret…).
Recentrer sur la stratégie de l’agresseur alors que l’attention est souvent portée sur la victime est nécessaire. Rechercher pourquoi il y a eu passage à l’acte alors qu’elle n’était pas consentante ? Quelle circonstance l’a contrainte ? Pourquoi s’est-elle sentie obligée de céder ? Stratégie de séduction avec pression ? Quel est son mode opératoire ?
La victime se reproche souvent de ne pas avoir crié, être restée passive ; pourtant, c’est un mécanisme normal d’auto protection du cerveau : la sidération.
Les enseignements de Muriel Salmona (expert psychiatre – association mémoire traumatique et victimologie) sont précieux pour l’avocat qui doit faire comprendre aux magistrats ces mécanismes du psycho traumatisme.
En situation de violence, face à un individu qui n’a pas d’empathie et continue à agir, face à l’impensable, le cerveau se bloque, se paralyse : la victime est alors en état de sidération. Plus la situation est insensée, violente, plus la victime sera sidérée, paralysée. Elle ne part pas, ne crie pas, ne réagit pas. C’est l’expérience faite par tout un chacun lorsque l’on est « sans voix » après avoir entendu des propos scandaleux.
L’avocat doit aider la victime à remettre la situation dans le bon ordre et donner les outils aux policiers et magistrats pour comprendre les réactions de la victime.
La volonté de préserver les proches, la crainte des représailles :
- Le fait de connaître son agresseur dans son entourage (familial, amical, professionnel..) est un motif récurrent du silence de la victime.
La victime doit comprendre qu’elle est importante et réintégrer une bienveillance à son égard. La stratégie de l’agresseur s’est accompagnée d’humiliations, de dévalorisation et il privilégie des victimes vulnérables : un enfant vulnérable en raison de son âge, une jeune femme en conflit avec ses parents, une autre en recherche de travail…
A l’inverse de l’agresseur, les interlocuteurs de la victime doivent la valoriser, lui montrer une bienveillance active et la prioriser par rapport à ses proches. Lui faire comprendre que les troubles psycho-traumatiques dont elle souffre peuvent se soigner mais que pour se soigner, il faut nommer les faits.
- Par ailleurs, tant que l’agresseur n’a pas été condamné, rien ne garantit qu’il ne recommencera pas. Il reste dangereux et le fait qu’il s’agisse d’un proche ne retire rien à ce danger. Au contraire, ce sont les proches de la victime qui sont alors aussi en danger.
Dans le cadre des violences sexuelles, on ne parle pas de troubles mentaux ou de pulsions sexuelles, mais d’un rapport de domination d’un homme qui chosifie sa victime, femmes majoritairement, enfants ou autres hommes.
On ne peut penser les violences sexuelles ou familiales sans comprendre qu’elles sont en rapport avec une domination masculine : ce sont les femmes qui majoritairement en sont victimes. Plus de 90% des plaintes sont déposées par des femmes.
Les rapports de domination ne se corrigent pas spontanément. Le droit doit rétablir un équilibre en protégeant la victime pour que celui qui veut dominer, ne puisse imposer sa volonté à l’autre.
Le manque de preuve, le souvenir imprécis des faits
Tantôt la victime ne se souvient pas précisément des faits, tantôt l’agresseur nie les faits, tantôt dans l’intimité d’une situation la victime n’a pas de preuve dite matérielle ou dépose plainte tardivement… Ces situations peuvent dissuader la victime d’engager des poursuites.
Or, les éléments de preuve sont multiples : certificats médicaux, prélèvements, vêtements rassemblés dans un sac, témoignages (proches, associations, juristes, psychologues…) sur des changements ou des propos rapportés à l’époque des faits, le parcours médical de la victime, l’existence d’autres victimes, la confrontation…
La recherche et l’organisation des éléments de preuves dans un parcours de vie est active : répertorier les témoins, les confidents, retrouver des indices (documents médicaux, une chute scolaire, un carnet intime…)…
Souvent, le souvenir est là, la connaissance de l’horreur des faits, mais le détail est comme effacé, flou. Cette amnésie traumatique dont peut souffrir la victime est en contradiction avec les exigences de la justice, d’un récit précis, structuré.
On peut expliquer cette amnésie ; que face à des violences, la mémoire traumatique s’installe. La mémoire reste alors bloquée dans l’amygdale sans être transformée en mémoire autobiographique ; comme dans « une boîte noire » (M. Salmona), d’où une amnésie des faits, des difficultés de repérages temporo spatial. Des études aux États-Unis ont montré que, 20 ans après avoir reçu des victimes en consultation pour des violences sexuelles, 40% de celles-ci avaient totalement oublié les agressions subies enfant (Williams, 1994 et Widom 1996).
Les comportements qui suivent l’agression peuvent aussi servir les poursuites. Une odeur, une couleur, une sensation peuvent réveiller la mémoire traumatique et la victime peut revivre l’horreur des événements par flash. Pour supporter, la victime a alors plusieurs alternatives : les conduites d’évitement (hyper vigilance, hyper contrôle) ou les conduites dissociantes pour chercher à provoquer une forme d’anesthésie (alcool, drogues, médicaments…situations de mise en danger).
Ces comportements peuvent se retrouver dans le parcours médical de la victime et étayer les faits.
L’expertise psychiatrique de la victime permet aussi de dire si les violences sont compatibles avec une agression sexuelle et de décrire le psycho traumatisme que l’on a tout intérêt à détailler. Les conséquences psychologiques sont connues : troubles du sommeil, angoisse, culpabilité, dévalorisation, sentiment d’insécurité, tocs, automutilations, tentatives de suicide et addictions… Les conséquences somatiques le sont moins : troubles fonctionnels et lésionnels (mémoire traumatique du cerveau), troubles gastro-intestinaux, troubles musculaires, troubles neurologiques, troubles gynécologiques, troubles métaboliques, maladie cardio-vasculaire, diabète, hypertension artérielle, allergies, certains cancers…
Autant de pistes qui peuvent aider au soutien d’une plainte pour violences sexuelles et qui peuvent être répétées tout au long de la procédure.
Dans ce contentieux transdisciplinaire, l’avocat a besoin de connaissances autres que juridiques. Et aussi de travailler en réseau avec des associations et psychologues/psychiatres pour un soutien psychologique de la cliente et la faire assister durant les expertises par un médecin conseil compétent.
Article de Village Justice par Par Maître Carine Durrieu Diebolt