les viols que subissent les enfants pourront toujours être niés et rester impunis sous couvert d’une recherche cruelle et inhumaine de leur consentement à être pénétrés sexuellement
Dre Muriel Salmona, psychiatre, présidente de l’association
Mémoire Traumatique Victimologie
https://www.memoiretraumatique.org
Paris, le 29 juillet 2018
Il s’agit de la chronique d’un monde à l’envers où des adultes peuvent torturer sexuellement des enfants en toute impunité puisque la loi continue à les considérer comme pouvant consentir à des pénétrations sexuelles ou d’autres actes sexuels quels que soient leur âge, leur handicap, la situation d’inceste ou le rapport d’autorité qu’ils subissent, sans que ce soit considéré comme des viols ou des agressions sexuelles, des actes cruels, dégradants et inhumains.
Ce projet de loi, inscrit dans
la grande cause nationale du quinquennat, avait pourtant suscité l’espoir de voir enfin corriger une faille majeure et scandaleuse de notre arsenal juridique concernant les viols et les agressions sexuelles commis sur des enfants par des adultes :
l’absence d’un seuil d’âge du consentement permettant de criminaliser toute pénétration sexuelle sur un enfant par un adulte et de ne plus rechercher le consentement d’un enfant.
En clair, en France, contrairement à plusieurs pays européens comme la Belgique, le Royaume Uni, etc., où tout acte sexuel commis à l’encontre d’un mineur en deçà d’un certain âge est qualifié de viol s’il s’agit d’une pénétration sexuelle ou d’agression sexuelle, un enfant peut être considéré par la justice comme ayant consenti à être pénétré sexuellement même s’il n’est âgé que de 11 ans comme nous l’avons vu récemment.
En France pénétrer sexuellement un enfant n’est pas forcément un crime, et ce sera toujours le cas avec cette nouvelle loi
Car aussi hallucinant que cela puisse paraître, en France,
le viol ou
les agression sexuelles ne sauraient se déduire du seul âge de la victime (comme l’a confirmé en 2015 le Conseil constitutionnel, l’âge n’est qu’une circonstance aggravante) parce qu’il suppose l’usage par son auteur de violence, contrainte, menace ou surprise, et donc de caractériser l’absence de consentement de la victime, seule
une jurisprudence de la cour de Cassation du 7 décembre 2005 a considéré que l’état de contrainte ou de surprise résultait du très jeune âge des enfants (âgés d’un an et demi à cinq ans) qui les rendait incapables de réaliser la nature et la gravité des actes qui leur étaient imposés :
cela signifie qu’il est possible que des magistrat·e·s et des juré·e·s considèrent qu’à partir de 6 ans, un enfant soit consentant à des actes de pénétration sexuelle par un·e adulte ou que son comportement ait fait croire à l’adulte qu’il était consentant, et qu’ils jugent que ces pénétrations ne constituent pas un crime de viol.
Ces actes de pénétration sexuelle pour lesquels l’usage de la violence, la menace, la contrainte ou la surprise n’ont pas été caractérisés et qui ne sont pas considérés comme des viols, n’en sont pas moins interdits s’ils sont commis par un adulte sur un enfant de moins de 15 ans (ou de moins de 18 ans quand l’adulte à une relation d’autorité sur le mineur) et sont qualifiés comme
des délits d’atteintes sexuelles (ils ne sont pas considérés comme des violences sexuelles mais comme des atteintes aux mœurs passibles de 5 ans de prison, au lieu de 20 ans pour un viol sur un·e mineur·e de moins de 15 ans ou sur un·e mineur·e de moins de 18 ans par personne ayant autorité).
Beaucoup de Français·e·s (
cf notre enquête réalisé par IPSOS en juin 2018) ont découvert avec stupéfaction et incrédulité cette faille scandaleuse à l’occasion
de deux affaires très choquantes en 2017 concernant des pénétrations sexuelles commises par des adultes de 22 et 28 ans sur des petites filles de 11 ans (
Justine et
Sarah) que la justice n’a pas considéré comme des viols. C’est alors que le gouvernement s’est engagé à inclure dans son projet de loi de lutte contre les violences sexuelles et sexistes des mesures visant améliorer et à renforcer la loi pour mieux protéger les mineur·e·s victimes de violences sexuelles afin d’éviter des situations comme celles-ci :
la principale mesure étant la mise en place d’un seuil d’âge du consentement en dessous duquel tout acte sexuel commis par un adulte est automatiquement considéré comme une agression sexuelle ou un viol s’il y a eu pénétration, le gouvernement et le Président s‘étant même déclarés favorables au seuil d’âge de 15 ans à l’occasion de la journée internationale de lutte contre les violences faites aux femmes du 25 novembre 2017.
Il était donc apparu, semblait-il, un consensus pour considérer que l’argument du consentement d’un·e plaignant·e âgé·e de moins de 15 ans selon les uns ou de 13 ans pour d’autres (comme le Haut Conseil à l’Égalité entre les femmes et les hommes) était inadmissible, et qu’en dessous de cet âge les actes en eux-mêmes étaient une violence et qualifiables de viols ou d’agressions sexuelles.
Et nous tenions donc pour acquis qu’un seuil d’âge du consentement soit fixé par la loi, nous espérions qu’il soit effectivement de 15 ans, et de 18 ans en cas d’inceste, de handicap et d’adulte ayant une relation d’autorité avec le mineur, et nous demandions entre autres (cf le Manifeste) pour lutter contre l’impunité : une meilleure protection des enfants contre les violences sexuelles commises par d’autres mineur·e·s (qui représentent 25% des violences sexuelles commises contre les enfants, IVSEA, 2015) avec un seuil d’âge spécifique ainsi qu’un écart d’âge, le retrait de la notion d’atteinte sexuelle, l’abolition des déqualifications, une meilleure prise en considération des troubles psychotraumatiques dans les procédures judiciaires afin de mieux prendre en compte les violences subies par les enfants et de lutter contre le taux énorme de classement sans suite, ainsi que la reconnaissance de l’amnésie traumatique comme obstacle insurmontable suspendant la prescription, et enfin nous demandions une imprescriptibilité des crimes sexuels.
NOUS N’AVONS OBTENU NI L’UN, NI LES AUTRES…
Un
avis du Conseil d’État du mois de mars 2018 sur l’inconstitutionnalité d’une présomption irréfragable ayant fait basculer le gouvernement qui s’est précipité pour faire machine arrière, alors qu’il aurait fallu déjà interroger le Conseil Constitutionnel
et qu’il était parfaitement possible de sécuriser un texte de loi avec une infraction de crime de viol spécifique pour les mineur·e·s. Plusieurs groupes au Sénat dont la délégation aux droits des femmes ont proposé de créer une infraction spécifique avec un crime de pénétration sexuelle sur mineur de moins de 13 ans par un adulte, ces amendements ont tous été rejetés. Or cette infraction ne pouvait pas être inconstitutionnelle car il n’y a pas pas d’irréfragabilité (ce qui était reproché la présomption irréfragable d’absence de consentement), il n’y a pas d’automaticité de la culpabilité puisque l’accusé pourra prouver qu’il ne connaissait pas l’âge de la victime. L’intentionnalité n’est pas en question : comme l’a dit Laurence Rossignol, on n’introduit pas involontairement son pénis dans l’orifice d’un enfant. Le Royaume-Uni et le Danemark ont des législations similaires depuis plus de dix ans. Un rendez-vous important a été manqué !
Quant à la spécificité de l’inceste et la très grande vulnérabilité des enfants les plus jeunes (dont la scolarité n’est pas obligatoire) et de ceux porteurs de handicap, elles n’ont pas été évoquées (mis à part pour des actions de sensibilisation de prévention et de formation pour les personnes en situation de handicap et leurs aidants, art 2 bis). Les enfants qui sont piégés dans leur famille, les enfants les plus vulnérables peuvent encore attendre longtemps d’être enfin protégés !
Une loi vidée de son contenu qui échoue à protéger les enfants des viols et des agressions sexuelles et à lutter contre leur impunité.
Vidé de sa mesure phare sur le seuil d’âge du consentement, le texte élaboré par la commission mixte paritaire (CMP) le 23 juillet 2018 qui sera soumis au vote des deux assemblées, ne changera rien au scandale de l’impunité des crimes sexuels que subissent les enfants. Il se réduit :
- à un plâtrage pour améliorer la caractérisation de la contrainte et de la surprise et tenter d’éviter des décisions judiciaires comme celles de Justine et Sarah en ajoutant à « la différence d’âge existant entre la victime et l’auteur des faits et de l’autorité de droit ou de fait que celui-ci exerce sur la victime » que cette autorité de fait peut être caractérisée « par une différence d’âge significative entre la victime mineure et l’auteur majeur » et que lorsque les faits sont commis sur la personne d’un mineur de quinze ans, la contrainte morale ou la surprise sont caractérisées par l’abus de la vulnérabilité de la victime ne disposant pas du discernement nécessaire pour ces actes. » — ce qui n’empêchera pas la recherche du consentement chez l’enfant victime ;
- à une augmentation des peines pour l’atteinte sexuelle qui passe de 5 à 7 ans d’emprisonnement ;
- à une question subsidiaire que pose le président de la cour d’assise sur « la qualification d’atteinte sexuelle sur la personne d’un mineur de quinze ans si l’existence de violences ou d’une contrainte, menace ou surprise a été contestée au cours des débats » pour éviter un acquittement comme dans l’affaire de Justine ;
- ainsi qu’à quelques mesures positives qui restent cependant bien peu ambitieuses par rapport à l’énorme chantier de réformes qu’il aurait fallu mettre en place et les moyens financiers qu’il aurait fallu allouer en urgence pour réellement mieux protéger les enfants des violences sexuelles. Ces mesures positives sont l’allongement des délais de prescription des crimes sexuels de 20 à 30 ans après la majorité, l’extension du viol à la pénétration sexuelle sur la personne de l’auteur et de nouvelles circonstances aggravantes ( lorsqu’une substance a été administrée à la victime, à son insu, afin d’altérer son discernement ou le contrôle de ses actes, et la vulnérabilité ou dépendance résultant de la précarité de sa situation économique ou sociale est apparente ou connue de l’auteur).
De plus, et c’est incompréhensible, des amendements adoptés le 5 juillets par le vote en première lecture du Sénat ont été abandonnées par la CMP, même ceux proposés juste avant le vote par le gouvernement, comme l’interruption de la prescription des viols lorsque d’autres viols ont été commis par le même auteur contre d’autres mineur·e·s, amendement pourtant proposé par le gouvernement lui-même. Cette mesure aurait réparé une grande injustice de la prescription quand il y a plusieurs victimes du même auteur ayant subi les mêmes crimes, les unes pour lesquelles les faits sont prescrits, d’autres pour lesquelles les faits ne sont pas prescrits, et aurait permis que les plaintes de celles pour qui les faits étaient prescrits puissent être instruites. De même ont été abandonnées alors qu’elles avaient été votées par le Sénat la possibilité de reconnaître par expertise l’amnésie traumatique comme obstacle insurmontable suspendant la prescription, la présomption simple de contrainte en dessous de 15 ans qui aurait au moins permis une inversion de la charge de la preuve, une meilleure caractérisation de la violence, la menace, la contrainte et la surprise, et l’obligation de signaler les maltraitances des mineur·e·s pour tou·te·s les médecins.
Nous sommes très loin de ce que nous demandions et de ce qui est nécessaire pour respecter les droits fondamentaux des enfants garantis par différentes conventions internationales et européennes signées par la France.
Malgré toutes les propositions relayées par nos auditions, des pétitions, des tribunes communes,
un communiqué de presse signé par 56 associations,
notre Manifestenotre Manifeste, ainsi que de nombreux amendements présentés par des groupes parlementaires qui ont essayé de criminaliser les pénétrations sexuelles sur les enfants de moins de 15 ans ou de moins de 13 ans, nous sommes allés de déceptions en déceptions,
et le texte de loi commun élaboré par la commission mixte paritaire (commission composée de 7 député·e·s et 7 sénateurs·trices) échoue lamentablement à remplir sa mission qui était celle de renforcer la protection des mineur·e·s contre les violences sexuelles. Et il envoie un message catastrophique aux enfants et à toutes celles et ceux qui tentent de les protéger : les prédateurs sexuels ont en toute impunité le champ libre pour les violer.
- l’absence de consentement d’un enfant à des actes de pénétration sexuelle n’a pas été acté ;
- un interdit clair protégeant de façon absolue les enfants en criminalisant ces actes n’a pas été posé ;
- pas plus qu’une imprescriptibilité des crimes sexuels n’a été adoptée.
Au final, au lieu de poser un seuil d’âge du consentement à 15 ans permettant de criminaliser toute pénétration sexuelle par un adulte, le texte commun ne fait que de préciser les notions de contrainte et de surprise de la définition du viol et des agressions sexuelles pour mieux les caractériser par l’abus de la vulnérabilité de la victime de moins de 15 ans ne disposant pas du discernement nécessaire : « Lorsque les faits sont commis sur la personne d’un mineur de quinze ans, la contrainte morale ou la surprise sont caractérisées par l’abus de la vulnérabilité de la victime ne disposant pas du discernement nécessaire pour ces actes. ». Et le texte de loi conserve le délit d’atteinte sexuelle (en en augmentant les peines de 5 à 7 ans de prison) pour tout acte sexuel commis par un adulte sur un·e mineur·e de moins de 15 ans, ou de moins de 18 ans si cet adulte est dans un rapport d’autorité de droit ou de fait avec ce·tte mineur·e.
Le problème reste donc inchangé, les magistrat·e·s auront toujours à prouver la violence, la contrainte, la menace ou la surprise, ces critères caractérisant le viol et les agressions sexuelles font une large place à l’appréciation subjective du magistrat et conduisent immanquablement à juger le comportement de la victime
en interprétant son attitude, son discernement, sa maturité sexuelle, pour rechercher si elle était ou non consentante. Quand il s’agit d’enfants, c’est inadmissible et particulièrement choquant. Cette part de subjectivité des magistrat·e·s comporte un énorme risque d’interprétations erronées par méconnaissance du développement de l’enfant, de son immaturité intellectuelle, émotionnelle et affective, de sa dépendance face à l’adulte et de la gravité de
l’impact traumatique de la pénétration sexuelle sur l’enfant victime. La sidération et la dissociation traumatiques peuvent être prises à tort pour un consentement puisqu’elles paralysent la victime et l’anesthésient en la rendant incapable de s’opposer et de se défendre, quant à la mémoire traumatique et
aux conduites dissociantes à risque, elles peuvent être prises à tort pour une maturité et une expérience sexuelles alors qu’elles sont des reviviscences traumatiques agies de violences sexuelles déjà subies prenant la forme de comportements sexuels inappropriés (
mémoire traumatique), ou des comportements sexuels à risque liés à
des conduites dissociantes traumatiques qui sont des stratégies de survie. Cela signifie que le risque est très grand de confondre consentement, maturité sexuelle et discernement avec
l’impact psychotraumatique des actes subis par l’enfant et des violences sexuelles déjà subies auparavant ayant entraîné
des conséquences psychotraumatiques (
mémoire traumatique,
dissociation traumatique et
conduites dissociantes à risques).
Cette nécessité de prouver la violence, la contrainte, la menace ou la surprise quand il s’agit d’un enfant qui est pénétré sexuellement par un adulte est un défi à l’entendement et un déni intolérable de la violence de l’acte lui-même de la pénétration, de son caractère cruel et inhumain. Un enfant ne peut en aucun cas être consentant à un acte qui lui fait violence, auquel il n’a ni les capacités, ni la liberté de s’opposer, et dont il ne peut pas comprendre les enjeux, ni les conséquences sur sa vie et son intégrité physique et mentale, comme je l’argumentais dans cet article de janvier 2018 « Protéger les enfants des violences sexuelles est un impératif : avant 15 ans un enfant n’est jamais consentant à des actes sexuels avec un adulte ».
Pénétrer sexuellement un enfant ce n’est en aucun cas de la sexualité, l’acte est une violence en soi : c’est de la torture.
L’absence de seuil de consentement et de criminalisation de la pénétration sexuelle par un adulte met les enfants en danger.
En l’absence d’un seuil d’âge du consentement permettant de criminaliser toute pénétration sexuelle commise par un adulte sur un enfant, c’est aux enfants qu’échoie la responsabilité de se protéger en s’opposant aux adultes prédateurs pour ne pas être considérés comme consentants. C’est inadmissible et cruel, puisqu’ils n’en ont pas la capacité, et c’est une négation de la torture qu’ils subissent lors d’une pénétration sexuelle.
Ce seuil d’âge du consentement à 15 ans et l’imprescriptibilité des crimes sexuels est une exigence de beaucoup d’associations, de professionnel·le·s de l’enfance et de nombreuses personnalités (portée par des pétitions, des tribunes et
notre Manifeste contre l’impunitéprésenté à la Secrétaire d’État à l’égalité entre les femmes et les hommes le 20 octobre 2017). C’est aussi une demande forte de la très grande majorité des Français·e·s comme l’a montré
notre enquête réalisée par IPSOS en juin 2018 :
81% sont favorable à ce que la loi prévoie un seuil d’âge minimum en dessous duquel un acte de pénétration sexuelle par une personne majeure sur une personne mineure soit automatiquement considérée comme un viol. Une majorité estime qu’il faut le fixer à 15 ans, et plus de 90% des Français·e·s sont favorables à ce que les actes de pénétration sexuelle par un·e adulte sur un·e mineur·e de moins de 18 ans soient automatiquement considérés comme des viols en cas d’inceste, de handicap de la victime ou de relation d’autorité sur la victime. Enfin, 70% se déclarent favorables à l’imprescriptibilité des crimes sexuels sur mineur·e·s.
Avec cette loi, les viols commis sur des enfants pourront continuer à être déniés, ou être correctionnalisés comme des délits, et les prédateurs sexuels d’enfants pourront continuer à ne pas répondre de leurs actes criminels. Les droits fondamentaux des enfants ne sont pas respectés. Et la scandaleuse impunité des auteurs de crimes sexuels à l’encontre des enfants a de beaux jours devant elle.
Comment est-il possible d’être aussi indifférent au sort de tous ces enfants victimes et de ne pas tout faire pour les protéger, reconnaître ce qu’ils ont subi, les prendre en charge et les soigner ?
Comment peut-on avoir si peu peur pour eux alors qu’ils sont les principales victimes de viol ?
Comment peut-on donc encore considérer que des enfants puissent consentir à un acte sexuel cruel, inhumain, dégradant et extrêmement traumatisant tel qu’une pénétration sexuelle qui les assimile à des objets, et qui porte atteinte à leur intégrité mentale, physique et à leur dignité, avec des conséquences catastrophiques sur leur santé et leur vie futures, et que cet acte ne soit pas un crime mais un délit ?
Pourquoi un tel déni de réalité et une telle injustice ? Une telle inhumanité ?
Qui peut vouloir vivre dans un tel monde qui ne protège pas les enfants de crimes atroces et les abandonne sans prise en charge, ni réconfort, ni soin ?
Comment est-il tolérable que la protection et les droits des enfants soient toujours aussi bafoués en France ? Le manque de courage politique est sidérant, protéger les enfants des criminels sexuels n’est pas une priorité… En attendant on continue à imposer aux enfants la mission impossible de se protéger des adultes prédateurs, à eux de se défendre quitte à être tués, ce qui pourra enfin faire reconnaître par la justice qu’ils ont été violés,
comme pour Angélique…
Déni, impunité ont de beaux jours devant eux…
Pour rappel les enfants sont les principales victimes de viols. Dans 96% des cas ces viols sont commis par des proches, le plus souvent ayant autorité sur eux, et dont la majorité sont des viols incesteux, ce qui ne laisse aucune chance à ces enfants piégés dans leur famille, l’absence de protection de l’État n’en est que plus cruelle (il faut noter que l’inceste n’a presque jamais été évoqué par le gouvernement ni lors des débats parlementaires). On estime que 130.000 filles et 35.000 garçons sont victimes de viols et de tentatives de viols chaque année, dans 96% des cas par des proches. 40% des femmes violées et 60 % des hommes violés l’ont été avant 15 ans (dans plus de 80 % des cas ces viols avant 15 ans sont incestueux) (CSF, 2008 ; ONDRP 2012-2017; OMS, 2014 VIRAGE, 201,. Et il ne faut pas oublier que plus les enfants sont vulnérables plus ils risquent de subir des viols : les enfants handicapés subissent 4 fois plus de violences sexuelles.
Et les viols sur les enfants bénéficient d’une impunité quasi totale, ce qui est une honte pour notre République : seuls 4% des viols sur mineurs font l’objet de plaintes, 70% des plaintes sont classées sans suite, 30% sont instruites, dont la moitié sont déqualifiées et correctionnalisées ; et finalement 10% des plaintes sont jugées pour viol en cour d’assises ou au Tribunal pour enfants, soit 0,3% de l’ensemble des viols ( CSF, 2008, ONDRP, 2016, infostat justice, 2016, Virage, 2017VIRAGE, 2017).
Le viol sur un mineur est un crime spécifique à différencier des viols sur adulte
La faille majeure de la définition du viol qui met en danger les enfants n’est donc toujours pas corrigée par ce nouveau texte de loi et c’est scandaleux.
Cette faille majeure est liée au fait que le viol soit défini par le code pénal de la même façon pour les adultes que pour les enfants quel que soit leur âge (de 0 à 18 ans) : à savoir une pénétration sexuelle commise avec violence, contrainte, menace ou surprise. Sans prendre en compte que, si pour qualifier un viol sur une victime adulte, il peut être logique de devoir démontrer qu’elle n’était pas consentante en prouvant qu’on a usé de violence, contrainte, menace ou surprise pour la pénétrer, puisqu’une personne adulte est censée pouvoir consentir de façon libre et éclairée à des relations sexuelles avec une autre personne adulte sans que cela porte atteinte à son intégrité physique et psychique, il n’en est pas de même pour un enfant de 0 à 15 ans, et de 0 à 18 ans en cas d’inceste, de handicap et de relation d’autorité avec l’adulte :en dessous d’un seuil d’âge et en fonction du contexte (inceste, handicap, relation d’autorité) un enfant ne saurait consentir à des relations sexuelles avec un adulte, et il ne saurait en aucun cas s’agir de sexualité.
Non seulement les enfants sont des personnes immatures et dépendantes qui doivent être impérativement protégées et qui n’ont ni le développement, ni les capacités, ni le discernement, ni les connaissances pour pouvoir consentir à être pénétrées sexuellement par un adulte, ni la possibilité de s’y opposer du fait de leur dépendance et de leur grande vulnérabilité face aux adultes. Un consentement libre et éclairé est impossible.
Mais au-delà de cette invalidité de la notion de consentement, toute pénétration sexuelle est en soi une grande violence pour les enfants, qui porte atteinte leur intégrité physique et mentale à court, moyen et long termes. Elle a les mêmes
conséquences psychotraumatiques que les tortures avec de très graves conséquences sur la santé et le développement des enfants
: pénétrer sexuellement un enfant n’est en aucun cas de la sexualité, c’est lui infliger un acte cruel, traumatisant, dégradant et inhumain : c’est un crime.
Comme nous l’avons vu, malheureusement cette faille existera toujours avec le projet de loi tel qu’il a été rédigé par la CMP, même si la contrainte et la surprise ont été définies plus précisément en fonction de la vulnérabilité et du discernement de l’enfant, les magistrats garderont la possibilité de d’apprécier subjectivement le comportement de l’enfant, sa maturité sexuelle ou son discernement pour évaluer s’il était consentant ou non, et la défense pourra continuer à faire peser sur lui la responsabilité de l’agression, c’est cruel et inadmissible.
En raison de cette subjectivité inhérente à la définition pénale du viol, les mêmes faits dans des circonstances similaires peuvent être poursuivis pour viol ou pour atteinte sexuelle, leur auteur emprisonné ou acquitté, comme l’ont montré de récentes affaires, telles celle de Pontoise et de Melun qui ont choqué récemment l’opinion publique avec des petites filles de 11 ans pénétrées sexuellement l’une par un homme de 28 ans et l’autre de 21 ans.
La première a été, dans un premier temps, avant une mobilisation citoyenne et associative, qualifiée d’atteinte sexuelle par le parquet de Pontoise,
la deuxième a abouti à un acquittement alors que la petite fille s’est retrouvée enceinte et a dû abandonner l’enfant à la naissance.
Et pourtant, cela devrait être une évidence humaine pour toutes et tous, que pénétrer sexuellement un enfant est en soi un acte cruel, dégradant, inhumain et traumatisant, aux très lourdes conséquences à long terme sur la santé, le développement et la vie de l’enfant : un crime dont il faut absolument le protéger comme le requièrent les conventions internationales et européennes, et comme le recommande l’OMS (2010).
En dessous d’un seuil d’âge et dans certaines circonstances la recherche du consentement de l’enfant à des actes sexuel le met en grand danger de ne pas être protégé : c’est une négation de ce qu’est un enfant et de la violence et du traumatisme qu’il a subis
Dans une société encore très imprégnée par le déni et la culture du viol qui met en cause les victimes en leur reprochant de ne pas s’être suffisamment opposées, de s’être trop exposées, d’avoir été provocantes, qui considère que les petites filles peuvent être des «
Lolitas », qui méconnait
des processus psycho-traumatiques universels tels que la sidération qui paralyse les victimes, la dissociation traumatique qui les anesthésie et les rend incapables de se défendre, la mémoire traumatique qui entraînent des comportements sexuels inappropriés qui sont des réminiscences agies de violences sexuelles déjà subies ou
des conduites dissociantes traumatiques de mises en danger, le risque est très grand que le comportement traumatique de l’enfant, sa dépendance affective, l’emprise qu’il subit soient interprétés injustement par les magistrats comme un consentement, ce qui est particulièrement cruel et malheureusement fréquent.
Or, si pour qualifier un viol sur une victime adulte, il peut être logique de devoir démontrer qu’elle n’était pas consentante en prouvant qu’on a usé de violence, contrainte, menace ou surprise pour la pénétrer, puisqu’une personne adulte est censée pouvoir consentir de façon libre et éclairée à des relations sexuelles avec une autre personne adulte sans que cela porte atteinte à son intégrité physique et psychique, il n’en est pas de même pour un enfant de 0 à 15 ans, et de 0 à 18 ans en cas d’inceste, de handicap et de relation d’autorité avec l’adulte : en dessous d’un seuil d’âge et en fonction du contexte (inceste, handicap, relation d’autorité) un enfant ne saurait consentir à des relations sexuelles avec un adulte, et il ne saurait en aucun cas s’agir de sexualité.
Tant que la loi n’invalidera pas la recherche d’un consentement chez l’enfant, le risque restera très grand de confondre les notions de consentement, de maturité sexuelle et de discernement avec l’impact psychotraumatique de l’acte sexuel subi par l’enfant et avec des conséquences psychotraumatiques (mémoire traumatique, dissociation traumatique et conduites dissociantes à risque) dues à des violences sexuelles subies antérieurement. Il ne faut pas oublier que :
- les violences sexuelles sont extrêmement traumatisantes pour les enfants qui les subissent, d’autant plus si ils sont très jeunes, si les violences sexuelles sont incestueuses et s’il s’agit de viols (IVSEA, 2015, Felitti et Anda, 2010, Hillis, 2016, Fulu, 2017). avec un impact catastrophique sur leur santé, leur développement et leur vie, même à long terme, 96% des victimes mineures de violences sexuelles en ont un impact important voire très important sur leur santé mentale, 70% sur leur santé physique. Ces violences sexuelles subies dans l’enfance sont le premier facteur de morts précoces, de risque de suicide, de dépression à répétition, de conduites addictives, de conduites à risque et de mises en danger, de risque de subir à nouveau des violences tout au long de leur vie, de grande précarité et de marginalité, d’obésité, de diabète, de troubles cardio-vasculaires, immunitaires, endocriniens, digestifs, neurologiques, gynéco-obstétricaux, etc., que toute la communauté scientifique internationale et l’OMS les reconnaissent comme un problème de santé publique majeur (IVSEA, 2015, Felitti et Anda, 2010, Hillis, 2016, Fulu, 2017, cf Manifeste stop aux violences envers les enfants).…Et plus l’enfant est petit, moins il a d’outils intellectuels pour identifier et comprendre ce qu’il subit par manque de discernement, d’expériences et de maturité, plus il sera gravement traumatisé… ;
- le facteur de risque principal, et de très loin, de subir des violences sexuelles est d’en avoir déjà subi (études ACE de Felitti et Anda, 2010, l’OMS 2010, 2014, 2016) 70% des victimes de violences sexuelles en subissent à nouveau tout au long de leur vie (IVSEA, 2015), or c’est fréquent 1 fille sur 5 et 1 garçon sur 13 ont subi des violences sexuelles(OMS, 2016), 81% avant 18 ans, 51% avant 11ans, 21% avant 6 ans (IVSEA, 2015), et 40% des viols ont été subi avant 15 ans pour les femmes, 60% pour les hommes (VIRAGE, 2017) ;
- les actes sexuels précoces (définies avant 15-16 ans suivant les publications) sont fréquemment en lien avec des violences sexuelles subies plus jeunes : ils sont fortement reliés à des violences sexuelles subies antérieurement et aux conduites sexuelles à risque dissociantes qui en sont une conséquence psychotraumatique fréquente (Dalhe, 2010) et ils sont un facteur de risque pour la santé mentale et physique de l’enfant, avec des risques de grossesse précoce et d’infections sexuellement transmissibles, des risque accrus de conduites addictives et à risque, de mauvaise estime de soi, et de violences sexuelles réitérées (Noll, 2007, Wilson, 2008, Lowry, 2017);
- les violences sexuelles dans la petite enfance augmentent l’incidence de pubertés précoces chez les filles, augmentant alors d’autant le risque de grossesse précoce (Noll, 2017).
D
e façon particulièrement injuste, la méconnaissance des conséquences psychotraumatiques des viols est un facteur important d’absence de protection et de reconnaissance, ainsi que d’impunité. En effet,les symptômes psychotraumatiques sont fréquemment retournés contre l’enfant victime pour mettre en cause sa parole, décrédibiliser son récit et le soupçonner de mentir ou d’exagérer, ou bien le considérer comme consentant, ou comme n’ayant pas été traumatisé, ce qui aura pour conséquences des classements sans suite, des déqualifications, des relaxes ou des acquittements.
C’est le cas pour
des symptômes psychotraumatiques pourtant universels et pathognomoniques (qui sont une preuve médicale d’un trauma), en rapport avec des anomalies visibles sur les IRM fonctionnelles, tels que :
la sidération qui paralyse le cerveau de la victime et l’empêche de fuir, de crier et de se défendre,
la mémoire traumatique qui lui fait revivre à l’identique les pires moments des violences et contraint les victimes à mettre en place des stratégies d’évitement,
la dissociation traumatique qui les anesthésie émotionnellement, fait qu’elles semblent tolérer de graves atteintes à leur intégrité physique et psychique, et entraîne
de fréquentes amnésies traumatiques. Des études (Williams, 1995, Widom, 1995) et notre
enquête de 2015 ont montré que 38% à 40% des victimes présentaient des amnésies, 40% d’amnésies totales et 60% d’amnésies partielles.
En celui concerne la prescription
Pour la prescription, l’imprescriptibilité n’a pas été retenue. Un allongement des délais de prescription de 20 à 30 ans après la majorité a été retenu et voté par l’Assemblée Nationale et le Sénat. Sur proposition du gouvernement, le Sénat a voté une interruption de la prescription des viols quand d’autres viols ont été commis par le même auteur contre d’autres mineurs mais qui a malheureusement été abandonné par
la Commission Mixte Paritaire. En clair, cela aurait permis, quand il y aurait eu plusieurs victimes du même auteur ayant subi les mêmes crimes, les unes pour lesquelles les faits auraient été prescrits, d’autres pour lesquelles les faits n’auraient pas été prescrits, cela aurait pu permettre que celles pour qui les faits sont prescrits puissent voir leur plainte instruite. Le Sénat a également voté la possibilité de reconnaître par expertise
l’amnésie traumatique comme obstacle insurmontable suspendant la prescription, ce qui a été également abandonné par
la Commission Mixte Paritaire.
AU TOTAL, AVEC CETTE LOI, LE RENDEZ-VOUS A ÉTÉ MANQUÉ, LES ENFANTS RESTENT EN GRAND DANGER
Or rappelons-le encore un fois :
- les enfants doivent être impérativement protégés de toute interaction sexuelle avec un adulte car il s’agit d’actes cruels et dégradants qui portent atteinte à leur intégrité physique et psychique et représentent une grave menace pour son développement et sa santé à long terme ;
- les enfants sont dans l’incapacité de s’opposer à des interactions sexuelles avec les adultes et ne sauraient en aucun cas y consentir de façon libre et éclairée ;
- les violences sexuelles qu’ils subissent ont un caractère exceptionnel par leur ampleur, leur caractère gravement discriminant (elles touchent avant tout les enfants, les femmes et les personnes les plus vulnérables), parl’impunité quasi totale dont elles bénéficient et par l’absence de protection et de reconnaissance de leurs victimes ; par la gravité de leurs conséquences psychotraumatiques sur la santé et l’intégrité des enfants à court, moyen et long termes, par la fréquence des amnésies traumatiques qui peuvent durer des décennies et qui les empêchent de pouvoir dénoncer les violences et porter plainte, par l’importance du déni, de la loi du silence, de la tolérance et de « la culture du viol »qui règnent sur ces violences sexuelles ;
- elles constituent un grave problème de société et de santé publique, d’atteinte aux droits des personnes, à leur sécurité, à leur santé et à l’intérêt général.
Protéger les enfants des violences sexuelles, reconnaître les violences qu’ils ont subies et leurs conséquences psychotraumatiques sur leur vie et leur santé, les accompagner, les prendre en charge et leur prodiguer des soins, respecter leurs droits et leur rendre justice et réparer leurs préjudices sont des impératifs et doivent être une priorité pour toute société démocratique et solidaire qui se doit de respecter les droits fondamentaux des enfants. Dans quelle société voulons-nous vivre ?
Il est urgent d’agir et de mettre en place des réformes et des mesures efficaces pour lutter contre ce déni et cette impunité catastrophique qui porte gravement atteinte aux droits fondamentaux et inaliénables des personnes. Droits à l’intégrité, à la santé, à l’accès à des soins adaptés, à l’égalité, à une justice équitable, à des réparations et au respect de leur dignité.
À ces violences sexuelles exceptionnelles, des réponses politiques exceptionnelles et des moyens exceptionnels et urgents doivent être mis en place : l’imprescriptibilité et la mise en place d’un seuil d’âge du consentement en dessous duquel tout acte sexuel commis par un adulte est automatiquement considéré comme une agression sexuelle ou un viol s’il y a eu pénétration font partie des mesures absolument nécessaires pour renforcer la lutte contre les violences sexuelles envers les mineurs, et renforcer la protection des mineurs contre ces violences.
Aux termes du droit international, l’Etat peut être tenu responsables d’actes de violence sexuelle perpétrés par des particuliers s’il a manqué à son obligation d’empêcher ces actes ou de protéger les victimes, d’autant plus s’ils sont des enfants. S’il peut être démontré que les autorités de l’Etat ont une conduite passive ou discriminatoire de manière constante, alors l’Etat peut être pris à partie. Un acte illégal qui viole les droits humains et qui est perpétré par un individu peut conduire à engager la responsabilité de l’Etat, non pas à cause de l’acte en lui-même, mais à cause de l’absence de mesures pour empêcher cette violation ou du manque de réaction des autorités. Les Etats sont soumis à l’obligation de protéger toutes les personnes contre des violations des droits humains (notamment le viol et autres formes de violence sexuelle). Cette obligation s’applique, qu’il s’agisse d’actes perpétrés par des individus agissant en leur qualité de fonctionnaires, en dehors du cadre de cette fonction ou à titre privé. Un tel devoir est aussi assorti d’une obligation d’agir avec la diligence nécessaire.
Paris, le 29 juillet 2018
Dre Muriel Salmona, psychiatre,
présidente de l’association Mémoire Traumatique et Victimologie
06 32 39 99 34
Pour consulter l’intégralité du Manifeste contre l’impunité des crimes sexuels :
Pour lire le Manifeste pour une imprescriptibilité des crimes sexuels
Pour lire le Manifeste stop aux violences faites aux enfants :
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