Lorsque j’ai subi l’inceste à 6 ans et demi par mon frère P. je l’ai intégré petit à petit comme un accident. Ce n’était pas normal mais accidentel . Tout tenait en une seule phrase qui dictera ma conduite toute ma vie : Il s’était laissé aller à ses pulsions. Il y avait un secret entre nous. Je ne lui en voulais pas mais je me devais d’éviter de rendre les choses possibles pour moi-même. J’ai appris à vivre avec ce secret je l’ai apprivoisé.
A l’adolescence, à 15 ans, j’ai décidé de ne plus obéir à personne, ni père, ni prof, ni institution. Je ne devais espérer et croire qu’en moi-même, qu’en ma raison. L’abstraction mathématique était mon horizon intellectuel. Ma famille était catholique, moi aussi profondément. Je devais ne plus croire en Dieu. J’ai construit patiemment mon athéisme contre mon éducation. J’ai voulu bannir de mon esprit tout ce qui n’étais pas rationnel . Puisque Dieu n’avait pas empêché mon frère d’agir ainsi, pour moi-même, je devais lui échappé. Seule ma vigilance pouvait me protéger de toutes dérives. J’ai refusé aussi le service militaire, l’institution militaire, parce qu’elle était totalitaire et donc constituer une atteinte à ma liberté, liberté d’agir mais aussi de penser. Je n’ai pas mangé jusqu’à ce que l’armée me libère. Je me suis fixé, dés mes 15 ans, mes propres règles, très strictes. Je n’ai jamais connu l’ivresse, pas d’alcool, pas de drogue, pas de tabac, pas de jeu de hasard…
L’addiction, les plaisirs artificiels étaient mon ennemi. Je voulais et devais à tout moment me maitriser. Je ne devais pas céder à mes pulsions comme mon frère. Je confondais maîtrise des émotions avec maîtrise d’hypothétiques pulsions. Au cours de mes études j’ai refusé tout ce qui touchait à la psychologie de peur de voir se réveiller, se révéler le monstre que j’aurais pu avoir en moi. Je ne le percevais pas alors autant ne pas le réveiller. Je considérais que ce que j’avais vécu n’était pas normal et je ne voulais pas le reproduire. Peut-être devais je aussi éviter de me reproduire. Pourquoi courir le risque de la transmission. Si mes gènes étaient pervers, mon frère après tout a le même sang que moi, autant qu’ils ne soient pas transmis . Je voulais tout de même fonder une famille avec mon épouse. Lorsqu’il s’est avéré que nous avions des difficultés à avoir des enfants cela ne m’a pas du tout posé de problème. Je suis allé jusqu’au bout de la démarche de procréation assistée pour mon épouse. Mais lorsque la solution de l’adoption s’est imposée, j’étais très heureux. C’était pour moi une évidence.
Jeune parent, je ne me suis pas rendu compte de mes difficultés à comprendre les enfants, leurs besoins d’affection de protection de présence. J’avais surtout peur de leur faire du mal avant de rechercher à leur faire du bien. J’ai toujours eu peur de les toucher, leur donner le bain, les déshabiller. Je n’ai pu me libérer partiellement de cette peur que quand mes 2 enfants ont atteint la puberté. Et peut-être quand j’ai fait une psychothérapie. Je trouvais toujours une bonne raison pour justifier mes peurs irrationnelles. Lorsque je me rendais compte que je n’avais pas de pulsion envers mon fils, je me disais : « Il est trop petit ou bien c’est parce que c’est un garçon » Lorsqu’il a atteint la puberté je me suis dit «Lui est sauvé ». Mais j’avais laissé s’installer une distance entre lui et moi difficile à surmonter. Je me disais aussi « Attention pour ma fille » elle grandit, je dois faire attention à ne pas être attiré par elle. Elle est belle, son handicap la rend vulnérable. C’est le combat de ma vie. Il est très difficile de combattre un mal que l’on croit en soi mais qui n’apparaît jamais. J’ai combattu, je combats une ombre que je croyais être la mienne « ma part d’ombre » alors que c’était l’ombre de mon frère. Le psychotérapeute m’a dit « c’est mieux d’avoir agi comme cela que le contraire » donc d’avoir reproduis, mais les victimes masculines d’inceste n’aurait-elle d’autres choix que la reproduction ou à l’opposé la honte, la frustration et la peur d’eux-mêmes. Comment échapper à ce dilemme ? Exprimer ses peurs ? Qui oserait dire j’ai peur d’être pédophile, aidez moi ? Pourquoi prendre le risque d’être stigmatiser avant d’avoir eu la moindre pulsion ? On a d’autant plus peur de la stigmatisation qu’on exècre cette catégorie de criminel. J’ai suivi méticuleusement, chirurgicalement, les affaires Dutroux, Emile Louis, Fourniret… J’ai pleuré en visitant la cave de dutroux, les reconstitutions des meurtres de Fourniret. Pourtant je restais scotché au fauteuil. Où est leur part d’humanité ? Est-ce que j’avais en moi une once de Fourniret ? C’est une suite d’accidents de la vie qui me permettent d’être là aujourd’hui pour vous conter ma petite histoire.
Pour moi la seule issue possible à des pulsions qui n’auraient pas été hypothétiques mais réelles aurait été la disparition. Ma défiance envers les institutions est trop grande pour que je puisse me soumettre à la justice des hommes. Mais rassurez vous, je n’ai pas reproduis, je n’ai donc plus de raison de préparer ma fin prématurée comme je l’ai fait 2 ou 3 fois par semaine depuis la puberté. Depuis que j’ai accepté l’idée que je n’étais sans doute pas pédophile sans la moindre pulsion je n’élabore plus le scénario de mon suicide. Je ne crois pas que cela soit une coïncidence. Si j’avais un message à faire passer à ceux que ce sujet interpelle de part leur métier, leur fonction, ou la proximité avec une victime : Répétez ce message :Non la récidive n’est pas inéluctable.si les coupables ont bien souvent été victime l’inverse n’est pas vrai. La grande majorité des victimes ne récidive pas. Le refus de récidiver qui bien sûr est sain de la part des victimes ne doit pas se transformer comme je l’ai fait en mur d’inhibition.
Donc les victimes doivent-être accompagnées, soutenues, une politique de repérage précoce doit être encouragée. Il faut tordre le cou à une idée extravagante qui flotte comme quoi s’occuper des victimes c’est le début de la dictature ! On peut s’occuper des victimes sans assouvir un esprit de vengeance, on peut avoir le souci de lutter contre la récidive sans vouloir le lynchage. On peut faire preuve de compassion sans être dans la dictature de l’émotion. Je me suis dit toute ma vie : Si tu veux survivre, évites de rêver, tu n’es pas doué pour le bonheur. Le bonheur n’est pas un droit. Mais serait-il scandaleux que des enfants, victimes à un moment donné de leur vie, aient le droit de construire leur bonheur au lieu de construire des barrières pour ne pas faire du mal aux autres. Pour ces victimes anonymes, hantées par leur fantômes, perclus de culpabilité et de honte, je me dois, vous vous devez de sortir ce thème de l’inceste de la fange des faits divers sordides pour en faire un thème sérieux qui doit être traité pour améliorer le « vivre ensemble » d’une société adulte.. »