L’EMDR

L’EMDR : une psychothérapie qui permet d’avancer

Par le Dr François Louboff

Les conséquences d’un traumatisme laissent les victimes souvent démunies. Se soigner ? Oui, mais comment et avec qui ? Quelle psychothérapie choisir ?

Quelle que soit la thérapie, l’alliance thérapeutique est fondamentale. Le type de psychothérapie ne l’étant pas moins, je souhaite apporter à travers cet article des informations sur l’EMDR (« Eye movement desensitization and reprocessing ») afin d’aider les victimes d’abus sexuels à faire un choix éclairé quant à leur démarche thérapeutique.

Appelée  actuellement « thérapie d’intégration neuro-émotionnelle par des stimulations bilatérales alternées », l’EMDR est une psychothérapie qui a fait son apparition il y a plus de 20 ans [1], et dont l’efficacité pour traiter les troubles post-traumatiques est maintenant reconnue un peu partout dans le monde [2]. Cette psychothérapie est intégrative car elle utilise plusieurs outils empruntés à d’autres thérapies : thérapies cognitivo-comportementales, Gestalt Thérapie, thérapie Rogérienne,  état de conscience modifié (état hypnotique, méditation de pleine conscience), psychanalyse. L’EMDR ne remet ainsi pas en cause les autres thérapies mais permet aux cliniciens de différentes orientations de mieux utiliser leur formation initiale.

[1] Des yeux pour guérir. EMDR : la thérapie pour surmonter l’angoisse, le stress et les traumatismes, Francine Shapiro, Margot Silk, Seuil 2005

[2] En France, par l’Institut National de la Santé et de la Recherche Médicale (Psychothérapie : Trois approches évaluées, Paris, 2004) et par la Haute Autorité de Santé (Guide sur les troubles anxieux graves, juin 2007)

Le traitement adaptatif de l’information

L’EMDR repose sur le processus du « traitement adaptatif de l’information ». Présent chez chacun d’entre nous, c’est lui qui permet  une résolution adaptée et pertinente des difficultés auxquelles nous sommes  confrontées. L’évolution de nos pensées et de nos croyances en est le témoin. C’est ce processus physiologique d’adaptation qui permet notre survie.

Lorsque tout va bien, nous assimilons et intégrons les nouvelles expériences, ce qui nous permet de  nous adapter le mieux possible à notre environnement.  Tous les aspects utiles de ces expériences sont alors mémorisés, c’est-à-dire appris, et restent disponibles pour nous aider dans nos futurs choix. Une nouvelle expérience est ainsi assimilée dans un réseau de mémoire préexistant, connectée avec des expériences similaires, ce qui permet de lui donner un sens.

Mais lorsque les événements vécus sont trop perturbants, que ce soient des grands traumatismes (par exemple un viol, un accident de voiture, un attentat ou un tremblement de terre) mais aussi des « petits » traumatismes (une humiliation dans l’enfance, être le témoin des violentes disputes parentales, etc.), ce processus de traitement de l’information se bloque. Les conséquences négatives qui en résultent sont alors souvent durables : au maximum un syndrome de stress post-traumatique, mais aussi des troubles dépressifs, anxieux ou alimentaires, des toxicomanies, des troubles physiques variés, etc. Le traumatisme est donc considéré comme un blocage de ce traitement adaptatif de l’information.

D’autre part, ce modèle conçoit les situations douloureuses actuelles comme des réactivateurs d’un événement passé, mais non résolu et non traité. Par exemple, l’angoisse qui étreint une victime d’abus lorsqu’elle se retrouve dans une situation sexuelle pourtant désirée, et qui est liée à la réactivation involontaire du traumatisme.

Une mémorisation « anormale »

Certains chercheurs pensent que tous ces événements perturbants sont mémorisés d’une manière « anormale », « dysfonctionnelle », ce qui empêche le cerveau de les « digérer »: ne pouvant être rangés dans notre mémoire autobiographique,  ils ne peuvent pas être transformés en souvenirs. Ces événements nous envahissent alors sans qu’on le veuille (flash-back, cauchemars), ou nous influencent douloureusement de manière « inconsciente » (par des colères, des troubles alimentaires, des automutilations, etc.) : le passé reste présent.

Se rappeler un souvenir traumatique s’accompagne souvent d’une résonance physique. Le traumatisme serait enregistré dans une mémoire sensorielle, émotionnelle et motrice et non dans la mémoire narrative. Cela signifie que la victime conserve des émotions, des sensations physiques désagréables, ou des mouvements involontaires qui sont liés à l’événement traumatique, tout en restant parfois dans l’incapacité (jeune âge, dissociation, oubli …) de les associer à un souvenir autobiographique (je me rappelle avoir vécu tel événement).

L’EMDR relance le système de traitement de l’information

L’EMDR semble permettre une connexion entre le réseau de mémoire contenant le souvenir traumatique et les réseaux de mémoire contenant des expériences adaptatives, digérées et porteuses de sens.

Accéder aux réseaux de mémoire qui contiennent ces souvenirs traumatiques pour les « retraiter » entraîne une diminution ou une disparition des symptômes. L’EMDR stimule le système de traitement de l’information que chacun d’entre nous possède, pour aboutir non seulement à une guérison symptomatique, mais aussi à un regard différent porté sur l’événement, à de nouvelles prises de conscience, à une meilleure régulation émotionnelle,  et à des changements dans la manière dont on  perçoit sa propre identité.

Dans cette approche, les symptômes ne sont que des conséquences, la cause de la souffrance étant le souvenir traumatique  qui n’a pu être normalement traité et qui est resté, parfois pendant plusieurs dizaines d’années, « bloqué » tel un « kyste » dans notre psychisme.

Comment se déroule une thérapie EMDR

L’EMDR met l’accent sur les émotions (la peur, la colère, l’angoisse, la honte, la culpabilité, etc.), les croyances négatives et irrationnelles qu’ont les victimes sur elles-mêmes (je suis coupable, honteuse, je ne suis pas digne d’être aimée, je suis mauvaise …), et les sensations corporelles (une boule au ventre, au plexus, à la gorge, des crispations, etc.). Il s’agit d’une psychothérapie structurée en huit phases, dont les trois premières (prise de contact, préparation et évaluation) sont particulièrement importantes et doivent absolument précéder la phase de « désensibilisation » (celle où l’on utilise les stimulations alternées).

On insiste sur l’importance d’apprécier le niveau de dissociation de la personne et de lui apporter des outils lui permettant de faire face à un afflux émotionnel important et de rester dans ce qu’on appelle sa « fenêtre de tolérance ».

La cinquième étape (installation) permet de consolider une perception plus adaptée et positive qu’a acquise la personne sur elle-même pendant le traitement, la sixième constitue une vérification de l’effet du travail fondée sur le ressenti physique (scanner du corps), la septième clôture la séance, et la dernière permet de réévaluer au début de chaque séance l’impact du souvenir traumatique et celui du traitement déjà effectué.

De manière très schématique, le thérapeute demande à la personne de décrire une image qui représente le moment le plus douloureux du souvenir traumatique, la croyance négative et irrationnelle qui lui est associée (je suis coupable, je suis nulle, je vais mourir …), et dans quelle partie du corps elle ressent son mal-être. Il utilise également des échelles pour mesurer l’intensité de la souffrance et la progression du travail.

Puis le thérapeute place ses doigts (ou un stylo ou une baguette) devant le visage de la personne et lui demande de les suivre des yeux, dans un balayage de gauche à droite et de droite à gauche, assez rapide, répété plusieurs fois, parfois plusieurs dizaines de fois. Cette stimulation visuelle peut être remplacée par une stimulation tactile (on tapote sur les mains ou les genoux de la personne, toujours de manière alternée, ou on utilise des vibreurs que le personne prend dans les mains), ou par une stimulation auditive alternée à l’aide d’un casque qui envoie un son successivement dans chaque oreille.

Le patient doit alors rester dans une position d’observateur, de spectateur, de ce qui se passe en lui, que ce soit sur le plan psychique (pensées, souvenirs, images, émotions) ou physique (sensations corporelles). Il reçoit la consigne de « laisser faire ce qui se fait en lui et de laisser venir ce qui vient ». Son cerveau effectue un travail souvent très rapide d’association, allant chercher dans ses mémoires de nombreux éléments ayant un rapport, proche ou lointain, avec l’expérience traumatique.

Ce travail d’association permet un tissage entre les croyances négatives, irrationnelles et vécues au moment même du traumatisme et les connaissances plus rationnelles, objectives, matures (un enfant abusé est innocent, j’ai des compétences, je ne suis pas mort dans cet accident, …), ce qui permet de métaboliser, digérer, dissoudre les perceptions négatives initiales et irrationnelles, pour aboutir à une vision, un recadrage adaptés, rationnels et sains de la situation traumatique (je suis innocent, j’ai de la valeur, je suis vivant …). Une transformation s’opère à grande vitesse : l’événement traumatique est intégré au sein d’un nouveau schéma positif et constructif. L’efficacité de la méthode se mesure à la réduction et souvent la disparition de la souffrance. En effet, l’événement n’est plus porteur de peur, d’angoisse, ou de souffrance.

Bien sûr, entreprendre une thérapie EMDR nécessite d’évoquer un minimum les traumatismes subis. Mais il n’est pas nécessaire de les décrire en détail. Et contrairement aux thérapies comportementales, dans lesquelles on demande au patient de s’exposer en imagination au traumatisme pendant de nombreuses heures, l’exposition en EMDR ne dure que quelques secondes, lorsqu’on active le souvenir traumatique, au tout début de la phase de retraitement. Dès que la personne s’engage dans le suivi oculaire (ou que les autres stimulations alternées commencent), on lui demande d’être simplement observatrice de ce qui se passe en elle. Elle ne doit pas rester figée sur le souvenir douloureux. Elle doit laisser son cerveau aller où il veut, c’est-à-dire suivre les connexions dans ses réseaux de mémoire. Comme dans un train en marche, elle regarde par la fenêtre et voit défiler toutes sortes de paysages. La consigne est de laisser venir ce qui vient, et de laisser faire ce qui se fait en elle (il peut y avoir des mouvements, des sensations corporelles, des images, des pensées, des souvenirs qui apparaissent, des pleurs bien sûr aussi, mais leur impact douloureux est le plus souvent bref). A la fin de la série de stimulations alternées, le thérapeute demande simplement à la personne de lui dire, brièvement (et si elle le souhaite), la première chose qui lui vient à l’esprit, quelle qu’elle soit (qu’elle lui paraisse importante ou pas, en relation avec le point de  départ ou pas). Puis une nouvelle série de stimulations commence, et ainsi de suite.

Et progressivement, souvent rapidement, le souvenir du traumatisme évolue, se transforme, s’éloigne, devient flou, perd de sa charge douloureuse. Le regard porté sur l’événement change, la façon de se percevoir aussi. Une leçon de vie peut souvent être tirée de ce qui s’est passé, comme lors de tout apprentissage. Le traumatisme devient un souvenir, on ne l’oublie pas, mais il est situé dans le passé, avec un début et une fin. La croyance négative a évolué spontanément vers une croyance positive, réaliste, adaptée (je suis innocente, je suis respectable, je suis quelqu’un de bien, …). Une plus grande estime de soi émerge.

La personne sort de son statut de victime.

Et comment ça marche ?

Une question souvent posée est celle de l’explication de cet effet thérapeutique aussi spectaculaire. Et la réponse est toujours aussi décevante : on ne sait pas vraiment. Consolez-vous : la réponse est la même, quelle que soit la psychothérapie envisagée (et il en existe plus de 400 !). Disons néanmoins que les nombreuses recherches conduites actuellement donnent quelques hypothèses intéressantes. L’EMDR favoriserait, par l’activation alternée des deux hémisphères, une meilleure synchronisation entre ces derniers, permettant ainsi l’intégration du souvenir traumatique (l’hémisphère gauche traiterait l’information rattachée à une émotion positive alors que le droit traiterait l’émotion négative). Nous savons également que les mouvements oculaires diminuent la fréquence cardiaque et la conductance de la peau (moins le niveau de stress est élevé, moins la conductance de la peau est grande). Cette relaxation ainsi induite stimule le fonctionnement cérébral parasympathique (dont l’acétylcholine est le neurotransmetteur) permettant l’intégration des souvenirs douloureux (la stimulation du système sympathique, par l’intermédiaire de l’adrénaline, due à l’angoisse du souvenir traumatique, empêche cette intégration). D’autre part, le fait d’adopter une attitude de « double attention », c’est-à-dire d’être attentif à ce qui se passe à l’extérieur de soi (en suivant les doigts du thérapeute par exemple) tout en restant attentif à ce qui se passe à l’intérieur de soi (les images, les émotions et les sensations qui apparaissent) semble avoir un effet thérapeutique. Cette attitude est proche de celle adoptée dans la méditation de pleine conscience (mindfulness) dans laquelle il est demandé de rester observateur des pensées, émotions ou sensations qui surgissent moment après moment.

De nombreuses recherches sont en cours pour nous permettre de mieux comprendre l’efficacité de l’EMDR.

L’EMDR fait parfois peur : rassurez-vous !

L’EMDR est très efficace, mais elle ne représente pas une thérapie miracle, ni une thérapie « brève ». Le traitement d’un traumatisme unique, survenu chez un adulte en bonne santé, ne prendra effectivement que quelques séances (un viol, un accident de voiture par exemple). Mais le traitement d’une personne qui a été traumatisée dès son enfance, pendant longtemps, et qui n’aura pu bénéficier d’un attachement sécurisant, pourra durer plusieurs années, avec des objectifs plus limités.

Certaines victimes d’abus sexuels sont très dissociées, à tel point qu’elles sont parfois considérées comme des schizophrènes, alors qu’elles ne le sont pas. On retrouve par contre beaucoup de symptomatologies évoquant un  trouble « état limite », caractérisé par une instabilité généralisée (dans le comportement, l’humeur, les relations avec les autres). L’intensité de ces tableaux cliniques, et les risques de décompensation qui existent, doivent faire réserver l’utilisation de l’EMDR à des thérapeutes formés et expérimentés (vérifier auprès de l’Association EMDR France [1]).

L’EMDR est efficace, parfois presque trop ! Les changements importants qui surviennent, les prises de conscience parfois douloureuses peuvent être déstabilisants. Comment se reconnaître quand nos fondations se transforment ! C’est parfois la relation conjugale qui se trouve déséquilibrée, le conjoint ne reconnaissant plus son ou sa partenaire. Les éventuelles conséquences négatives des changements positifs qui surviennent doivent être abordées avec la personne, parfois avec son conjoint.

Bien entendu, personne n’a envie de souffrir. Ce qui explique que certaines personnes refusent d’entreprendre cette thérapie car elles ont peur d’avoir trop mal. Comment peuvent-elles accepter de repenser à ces événements lointains, tellement douloureux qu’elles ont tout fait pendant des années pour s’en protéger, parfois en les enfermant dans une sorte de placard, bien barricadé. Et on leur demande maintenant d’ouvrir la porte ! Plutôt fuir …

Il est important de préciser simplement que le retraitement se fait d’une manière propre à chacun, et à la vitesse que chaque individu peut supporter. De plus, la thérapie EMDR apporte, avant le stade du retraitement, des outils de stabilisation (notamment la mise en place d’un lieu sûr, associé à un vécu de sécurité), pour permettre aux personnes, lors du retraitement, de rester dans leur « fenêtre de tolérance ». C’est le rôle du thérapeute de veiller à ce que la personne n’en sorte pas. D’ailleurs, la personne peut interrompre, par un signal convenu, la phase de retraitement si elle en ressent le besoin. C’est le frein d’urgence, toujours disponible, qui laisse à la victime un contrôle sur le déroulement de la séance.

Rappelons que la parole n’est pas privilégiée dans cette approche. Bien sûr elle est importante dans les premières phases du traitement, comme dans toute thérapie, mais lors de la phase du retraitement, il ne sera pas demandé à la personne de beaucoup parler. Juste quelques mots pour tenir le thérapeute informé de ce qui lui vient à la conscience après chaque série de stimulations alternées. Et si la personne ne veut pas dire ce qui lui vient à l’esprit, elle en a le droit ! Cela n’empêche pas la poursuite du retraitement, ni son efficacité. Le thérapeute n’a pas besoin de tout savoir.

[1] Association EMDR France : https://www.emdr-france.org/

Assumer l’ambivalence pour guérir

L’EMDR, comme d’autres thérapies, permet de mettre en évidence certains phénomènes humains, dont l’ambivalence. On a mal, on souffre, on voudrait ne plus souffrir, mais une partie de nous semble  curieusement s’y opposer. Cette ambivalence est normale, car tout changement est source d’angoisse. Et l’EMDR permet de changer. Cette angoisse normale rend absolument indispensable une alliance thérapeutique de qualité entre le patient et son thérapeute pour pouvoir s’engager, en toute sécurité et en toute confiance, sur ce chemin nouveau du changement,  de la découverte de soi et de la guérison.

Docteur François Louboff, Psychiatre, Praticien EMDR.

L’OMS a publié le 6 août 2013 des orientations sur les soins de santé mentale après un traumatisme; Un nouveau protocole clinique et des lignes directrices visent à assurer des soins de santé mentale efficaces pour les adultes et les enfants exposés à un traumatisme ou à la perte d’un proche Communiqué de presse

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *