Emmanuel , une mère incestueuse

« On est sidéré » : Emmanuel, 54 ans, raconte comment sa mère incestueuse a bouleversé sa vie

Publié le 31 mars 2022 à 06h00

« On est sidéré » : Emmanuel, 54 ans, raconte comment sa mère incestueuse a bouleversé sa vie
(Claude Prigent)

Une forte angoisse, un sentiment de solitude… Haut fonctionnaire, issu d’une famille catholique, Emmanuel raconte comment les comportements incestueux d’une « mère dragon » ont à jamais perturbé sa famille, sa santé, sa vie. Et ce, alors que la Commission inceste rend ses préconisations ce jeudi.

Emmanuel, 54 ans, a témoigné devant la Commission indépendante sur l’inceste et les violences sexuelles faites aux enfants (Ciivise), qui rend publiques, ce jeudi, ses préconisations. « Tout le monde disait du bien de cette mère de famille nombreuse, bibliothécaire bénévole », se souvient-il. Une mère au foyer d’une « portée » de cinq enfants, faisant la catéchèse, active dans les associations de parents d’élèves.

Au-dessus de tout soupçon

Pourtant, cette mère en apparence au-dessus de tout soupçon est abusive. Ce qui est synonyme de « violences physiques et psychologiques pour les trois aînés, et de comportements incestueux pour les deux derniers » et son petit-fils qu’elle recueille chez elle après la mort de sa fille aînée, selon Emmanuel.

Les comportements incestueux – exhibitionnisme, toilette appuyée des parties génitales, attouchements, manie du thermomètre rectal, etc. – se sont poursuivis entre ses 7 et 18 ans, raconte celui qui a aussi témoigné devant la Commission indépendante sur les abus sexuels dans l’Église (Ciase) des agissements d’un aumônier catholique de son collège.

On se voit comme une poupée de chiffon qui se laisse faire

« Après, on culpabilise »

« Il y a une emprise de la mère. (…) On est sidéré, on se décompose. On se voit comme une poupée de chiffon qui se laisse faire. Et puis après, on culpabilise. Longtemps, je n’ai pas parlé car j’étais un homme. Ç’aurait été un signe de vulnérabilité, de faiblesse ».

La vision du film « Festen », qui évoque une famille broyée par l’inceste, et la naissance de sa fille en 1998 réactivent des émotions enfouies. « Être parent n’est pas simple pour une victime d’inceste. J’ai longtemps hésité à devenir père. On a peur de transmettre aux enfants. On a peur de donner le bain, car l’inceste se passe souvent dans la salle de bains, la scène de crime », indique-t-il. « Est-ce que je vais avoir des gestes déplacés ? Quel parent vais-je être ? », se demandait-il alors.

« Ayant été abusé, j’ai du mal à être tactile avec mes enfants », explique ce père de deux enfants de 16 et 23 ans, dans le jardin de sa maison de l’ouest parisien.

C’est une malédiction qui se prolonge, une lignée incestueuse

Cinq ans de psychothérapie

À cette époque, il entame cinq ans de psychothérapie et part à la recherche de l’histoire de ses parents. Il découvre que sa mère, « fille naturelle », a elle-même été agressée sexuellement par son père adoptif. « C’est une malédiction qui se prolonge, une lignée incestueuse ».

Enfant martyre devenue bourreau, sa mère refuse d’admettre ce que son fils adulte lui dit. « Elle disait que je mentais, que j’étais manipulé par mon psychothérapeute. La mort de mon père m’a libéré de son emprise maléfique. J’ai cessé de la voir », affirme-t-il. Mais ce vécu, « c’est comme un passager clandestin qu’on embarque avec soi. Toute sa vie, on devra vivre avec ».

Des flash-back

Son « enfance bafouée » lui remonte parfois par flash-back. Des pensées intrusives, un sentiment de désespoir, des idées noires obsédantes qui poussent à l’addiction et à la tentation suicidaire. « Il faut faire disjoncter son cerveau », lance-t-il, évoquant la tentation de « s’anesthésier », d’« oublier » avec des médicaments ou de l’alcool. « Cela crée des pathologies chroniques et des addictions. On dort mal, on a des cauchemars, une hypervigilance qui s’active pour éviter d’être attaqué ».

« On est surinvesti dans le travail jusqu’à l’épuisement. On finit par s’écrouler ». C’est ce qui est arrivé à cet énarque, tombé en dépression profonde après un flash-back. « Un mot, quelque chose dans la météo, une voix qui vous paraît semblable et vous replongez dans le passé ».

« Frères et sœurs de misère »

Des comportements dont témoignent aussi d’autres victimes d’inceste, ses « frères et sœurs de misère », qu’il retrouve lors de groupes de parole organisés par l’association Le Monde à travers un regard.

Témoigner devant la Ciase l’a de nouveau bouleversé et il est suivi par un psychiatre spécialisé dans la méthode dite EMDR qui consiste à « reprogrammer » le cerveau par des mouvements oculaires. « C’est 190 € la séance d’une heure. Je suis donc obligé d’espacer les séances », dit-il, regrettant l’insuffisance de parcours de soins publics.

source Le Télégramme

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