Le combat

AFFAIRE PEYRARD: “JE VEUX QUE LA VÉRITÉ SORTE”

Chères amies et chers amis,

A deux jours du début du procès lundi à Lyon pour non dénonciation de crimes dans l’affaire Preynat de l’Archevêque de Lyon, le cardinal Philippe Barbarin, nous publions le témoignage essentiel et emblématique de Jean-François Roche, 61 ans, victime d’un autre prêtre, le père Régis Peyrard qui vient d’être jugé dans la Loire.

Jean-François a été violé à l’âge de 13 ans par Peyrard en 1971. Les souvenirs lui ont explosé à la conscience à 60 ans, soit après 46 ANS D’AMNÉSIE TRAUMATIQUE TOTALE…

L’ex-prêtre, qui a abusé de près d’une centaine de garçons pendant plusieurs décennies, vient d’être condamné par le tribunal correctionnel de Saint-Etienne à la peine ridicule de 6 mois de prison ferme pour une seule affaire d’agression sexuelle non prescrite.

Jean-François était l’un des six témoins appelés à la barre pour raconter les faits prescrits qui le concernent: une nuit de viol, une nuit d’horreur….

Plus de 15 jours après ce jugement qui est définitif –le parquet n’ayant pas fait appel– Jean-François a eu la gentillesse de nous accorder un long entretien où il dévoile son chemin de croix dans l’enfer des hôpitaux psychiatriques français, les silences et manipulations coupables de l’Eglise, le procès ainsi que ses projets concernant un nouveau combat qui lui tient particulièrement à coeur, entre autres.

Un témoignage rare, fort et exemplaire sur ces affaires de pédocriminalité trop longtemps étouffées qui nous concernent toutes et tous…Crimes, agressions qui ont détruit ou plongé dans une immense souffrance des générations d’oubliés de la justice en France.

L’histoire de Jean-François vient de nouveau appuyer la nécessité d’introduire l’amnésie traumatique dans la loi comme un élément suspensif de la prescription pour permettre aux victimes comme lui d’obtenir justice et à terme que notre pays s’oriente impérativement vers l’imprescriptibilité des crimes sexuels sur mineurs. Un choix courageux. Un choix nécessaire.

A l’heure du grand débat national et du bouleversement sociétal que nous vivons dans notre pays, gageons que les autorités y seront sensibles…

Bonne lecture et bon dimanche à toutes et à tous,

Mié Kohiyama pour le groupe “MoiAussiAmnesie”

PS: Jean-François nous a confiées et autorisées à publier des photos récentes de lui ainsi que celles de Peyrard et du camp et de l’endroit où se sont déroulés les faits.

« Voilà plus de 30 ans, que je traînais un mal-être, sans arriver à mettre des mots sur mes maux.

Des années de dépression, surtout à la naissance de mes quatre enfants. Plus tard, j’ai compris que c’est parce que j’avais peur de donner naissance à de futures victimes de pédocriminels….Des années de psychothérapie, des milliers de cachets avalés. Le 23 avril 2015, au bout du bout, en très grande souffrance, je décidais de mettre fin à mes jours.

Les pompiers m’ont conduit aux urgences de l’hôpital de Montbrison. Puis, j’ai passé trois semaines aux urgences psy du même hôpital: 21 jours en uniforme, le pyjama, sans visite, sans téléphone, au milieu de malades qui me faisaient peur, la chambre de contention toujours proche. C’était l’enfer, l’innommable. J’étais coupé du monde, sans visite ni cigarettes avec cette horrible impression d’être en prison.

Mes enfants ont pu me faire sortir de cet enfer et j’ai été muté à la clinique de santé mentale de Montrond les Bains. J’y suis resté trois mois, j’en suis ressorti encore plus déprimé. Pas de soins, visite du psy deux minutes dans la chambre tous les deux jours. Il poussait la porte, me demandait si ça allait. Si ça n’allait pas, il augmentait mon traitement…

Rentré chez moi j’ai commencé une psychothérapie. Mes premiers mots au psy en décembre 2015, ont été pour évoquer l’intime conviction que j’avais, d’avoir été agressé sexuellement dans mon enfance.

Mais impossible de me souvenir de quoi, de qui, où?

Sombrant dans la mélancolie, forme suprême de la dépression, j’ai été hospitalisé à l’UAT au CH Nord de Saint Etienne où je suis resté trois mois. Là, j’ai subi 19 séances de sismothérapie, 19 anesthésies générales avec des électrochocs qui déclenchent une crise d’épilepsie. Ça a été là aussi les portes de l’enfer.

Cela a profondément altéré ma mémoire, mais peut-être a commencé à faire céder des digues. Je me souviens peu de cette période là.

Du CHU Nord stéphanois, on m’a muté cinq semaines à la clinique psy de Saint Victor sur Loire où je me suis véritablement ennuyé, sans aucun espace de parole. Je voyais le psy une à deux minutes par jour, parfois dans le couloir, parfois au self ….. Il venait s’asseoir à notre table alors qu’on était six à table. Je ne pouvais pas parler.

A ma demande, je suis rentré chez moi et ai continué ma psychothérapie évoquant toujours cette intime conviction d’avoir été agressé sexuellement. Et je n’arrivais pas à tirer les fils de cette intime conviction. Pas de souvenirs concrets. Être habité par ça mais sans arriver à mettre un nom et un lieu participait à mon mal-être.

Et puis, début juillet 2017, un matin j’ai vu la Une du Progrès avec le nom du curé Régis Peyrard avec sa photo, accolé au mot « pédophilie », avec la photo du curé. Le titre était: “Nouvelle affaire de pédophilie à Saint-Etienne”.

Et là ça a été la révélation : un flash, des flashes, des faits qui me reviennent … Moi aussi j’ai été agressé sexuellement par Peyrard. En prenant conscience de cela, je me suis senti très mal, à la limite de la perte de connaissance. Un véritable tsunami après 46 ans d’amnésie traumatique totale.

Voilà ce qui m’était arrivé. Ça me revient très précisément, de plus en plus précisément. Tellement que cela me paraît évident, je me dis comment j’ai pu oublier cela?

J’avais un peu plus de 13 ans, c’était en juillet 1971. J’étais en camp d’ados pour trois semaines en Savoie, à Peizey Nancroix exactement.

Au retour d’une longue randonnée, je me sentais fébrile.

Le père Peyrard qui officiait dans ce camp, est venu dans notre marabout, demander si tout le monde allait bien. J’ai eu la malheur de dire qu’il me semblait avoir de la fièvre. Il m’a demandé de le suivre à l’infirmerie (dont il était le responsable) “pour me donner une aspirine”. A l’infirmerie, il m’a fait allonger sur le lit et pour bien me surveiller, il m’a dit qu’il me gardait pour la nuit.

Sauf qu’au lieu de dormir dans sa chambre en début de nuit, il s’est allongé sous les draps avec moi. Un adulte, un enfant dans un petit lit, cela a été effroyable.
Il était collé à moi, transpirait, respirait fort, me caressait, m’appelait “mon mignon”.

Puis, il est passé à l’innommable..je m’étais endormi lorsqu’une intense douleur m’a réveillée. Cela venait de mon rectum. Je lui ai demandé ce qu’il faisait. Il m’a répondu qu’il prenait ma température sauf qu’il n’avait pas de thermomètre.

Etait-ce son doigt, son sexe qui entrait en moi ? Peu importe, j’avais été violé. J’avais été sodomisé. Cela a duré toute la nuit, sordide, effroyable, douloureux …. Je voulais mourir. J’attendais que le jour se lève car je savais que cela serait la fin de l’ignominie…

Le lendemain, j’ai rejoint les autres garçons sans rien dire. J’ai jeté mes sous vêtements dans le torrent.

A la fin du camp, je suis rentré chez moi, sans rien dire. Régis Peyrard, aumônier à Montbrison, était un ami de la famille, avait table ouverte à la maison. On ne pouvait à cette époque accuser un curé. J’ai enfoui ça immédiatement dans mon inconscient….c’était trop douloureux. J’ai oublié.

Et c’est début juillet 2017 en voyant sur le journal la photo de Peyrard associé avec le mot pédophilie que tout cela est revenu à moi.

J’ai téléphoné à la gendarmerie de Montbrison qui n’a pas voulu saisir ma plainte, me disant de rejoindre le site « coabuse.fr » qui rassemblait les nombreuses victimes de Peyrard et d’écrire au Procureur de la République de Saint Etienne. Ils n’ont pas voulu prendre ma plainte car les faits étaient prescrits (ce qu’ils n’avaient pas à théoriquement à faire…).

J’ai envoyé ma plainte au procureur dans une lettre recommandée qui était sans réponse. Puis une deuxième qui est également restée sans suite…

J’ai été violé, c’était intolérable et personne ne voulait m’écouter. Même si les faits sont prescrits j’aurais voulu témoigner dans un lieu sécurisé, officiel, une gendarmerie, un tribunal …
Alors j’ai décidé de témoigner à visage découvert dans le Progrès. J’étais alors en grande souffrance. J’ai hésité mais j’avais des élèves qui avaient vécu pareil que moi et avaient témoigné en nom propre. Mes enfants en plus étaient d’accord.

En août septembre 2017, j’ai rencontré le directeur du camp qui était en place en 1971. C’était un prof, je lui en veux beaucoup.
Voilà ce qu’il m’a raconté: dans ce camp organisé par l’association « Vacances vers les Sommets » (VVS) “on avait quelques soupçons sur Peyrard”. “Un jour, lors d’une réunion pour organiser le prochain camp, il s’est mis dans une colère noire, car, dans l’organigramme, il n’était plus responsable de l’infirmerie qui avait été confiée à un moniteur faisant des études de médecine. Devant la furie de Peyrard, les responsables du camp avaient cédé et Peyrard était redevenu infirmier. “Je m’y connais, à l’armée j’ai été brancardier”. A VVS, on s’était tout de même interrogé du temps qu’il gardait les enfants à l’infirmerie pour soigner une simple ampoule. Des moniteurs ont également subi les assauts de Peyrard.
Ce type savait donc tout. Il n’a rien dénoncé et il n’a pas été auditionné….

En dehors de moi, Peyrard a abusé de dizaines d’enfants on est proche ou on dépasse la centaine, que ce soit dans ce camp, dans les aumôneries ou cures où il était nommé. Ces témoignages sont regroupés par coabuse.fr. Il s’en prenait aux pré-ados.

En 2000, trois jeunes dont les faits étaient non prescrits sont allés voir le Père Joatton, évêque de la Loire, pour témoigner des agressions sexuelles de Peyrard. Mais à l’évêché, les témoignages ont une grande propension à disparaître. Les perquisitions des enquêteurs n’ont d’ailleurs rien donné..

Une parenthèse…Cette même année, Peyrard était muté chez les Petites soeurs des pauvres, où des témoins ont raconté qu’il continuait ses crimes et agressions sur des enfants…

J’ai écrit au nouvel évêque, Sylvain Bataille pour dire mes souffrances. Il m’a répondu d’une manière empathique.
Il m’a informé qu’un « procès » était en cours contre Peyrard, à Rome, au Vatican… Ce qui n’est plus le cas aujourd’hui Peyrard étant retourné à l’état laïque. Selon certains, on le lui a fortement recommandé…

Fin 2017, des responsables de Vacances Vers les Sommets se sont réunis avec l’évêque de Saint Etienne et VVS m’a envoyé un compte rendu de cette réunion.
Ce texte m’a démoli. J’ apprends que « le prêtre Régis Peyrard a aussi fait du bien autour de lui », « que si la plateforme coabuse sait ou savait, elle est responsable… » « que les évêques ont été traumatisés par les perquisitions policières » Moi aussi, violé, je suis traumatisé.

Je lis également dans ce compte rendu que « L’évêque Bataille reste en contact avec le procureur et
va faire prochainement le point avec lui. Mais, si c’est prescrit, ça ne débouchera donc sur rien… »
« L’évêque a demandé à Régis Peyrard. de faire un geste : celui de demander à être relevé du sacerdoce pour exprimer compassion et repentir, ce que Régis P. n’a pas accepté de faire pour le moment. » ……

En parlant de Sylvain Bataille, il est venu me voir. Il est resté quatre heures à m’écouter en compagnie de mes proches.. A la fin il a demandé à rester seul quelques temps avec moi et il m’a posé deux questions: “Jean-François avez vous menti?” “n’avez-vous pas exagéré les faits?”. Mes proches ont dû me retenir pour que je n’explose pas de colère contre lui….

En avril 2018, alors que le Procureur de Saint-Etienne avait fait savoir dans le Progrès qu’il ne pouvait m’entendre car mes faits étaient prescrits, je reçois un mail de la gendarmerie générale de Saint Etienne, demandant à m’entendre sous 48 heures. Mais que c’est-il passé ? L’ancien procureur a été muté, on réouvre l’enquête, certains faits ne sont pas prescrits ….

Des dizaines de victimes sont entendues par la gendarmerie. On apprend qu’il y aura procès le 20 novembre 2018 pour une victime, Maxime 37 ans, victime d’agressions sexuelles non prescrites. Mais le Procureur ne nomme pas de juge d’instruction. On nous propose un procès à la sauvette. Si ses prédécesseurs avaient fait leur travail, on n’en serait pas là aujourd’hui.

Ce matin du 20 novembre, quand je suis arrivée je suis rentré dans la salle par la droite et je suis tombé sur Peyrard assis au premier rang. Ca faisait des dizaines d’années que je l’avais pas vu. Je l’ai tutoyé car quand on était gamin, c’est ce qu’il faisait. Je lui ai demandé de me dire pardon. Il n’a eu ni un mot, ni un regard. Il regardait ses chaussures. Son avocat m’a repoussé. Je lui ai dit “ca fait 40 ans que j’attends ça”. J’étais presqu’à genoux devant Peyrard. Lui était muré dans son silence…

Ce procès, c’était terrible parce que d’abord j’appréhendais. Nous avons été six témoins prescrits à être appelés à la barre. J’ai attendu trois bonnes heures dans une petite pièce qui ressemblait à une geôle. A la barre, je me suis effondré. J’ai raconté les faits pas le détail. Ce qui me portait était le silence de mort. Ces gens qui ne parlaient pas me soutenaient. J’ai été maltraité par l’avocat de la défense qui me demandait s’il y avait des boiseries ou de la moquette à l’infirmerie. Qui me reprochait d’être venu à la barre faire une psychothérapie. Le procureur et le président l’ont rappelé à l’ordre en lui disant que cela n’était pas des façons de parler à une victime. Pendant ma déposition, Peyrard s’est bouché les oreilles….C’est mon avocat Me Jean Sannier qui me l’a raconté ultérieurement….

L’évêque Sylvain Bataille n’est pas venu au procès car, ai-je appris, il avait peur d’être agressé…Cela m’a mis dans une énorme colère. Depuis cette affaire, j’ai perdu mon emploi dans l’enseignement catholique. Je n’ai pas l’ombre d’une proposition de poste.

Le 21 décembre, Peyrard a été condamné à six mois de prison ferme. J’étais effondré…”Six mois par rapport à des dizaines d’années des dizaines de victimes.. Je suis sorti du délibéré en disant “le tribunal vient d’instituer une nouvelle loi: en France on peut sodomiser, agresser des dizaines d’enfants sans faire un jour de prison. La justice et l’Eglise ont fait collusion pour instituer la prescription pénale”. J’étais fou furieux pour moi cela a été une deuxième sodomisation…..Une deuxième peine.

Le parquet n’a pas fait appel. Cette condamnation est définitive.

Me Sannier m’a rassuré. Il ne compte pas en rester là. Il compte poursuivre la procédure sur le plan administratif et également faire reconnaître mon amnésie traumatique comme un obstacle m’ayant empêché de déposer plainte avant et susceptible de lever la prescription.

On ira jusqu’au bout. Ce sera mon dernier combat. Je veux que cette prescription saute.

Lundi, j’assisterai au procès Barbarin en solidarité avec mes amis de la La Parole libérée qui m’ont beaucoup soutenu. Ils étaient présent à Saint-Etienne. On forme une grande famille qui a le couteau entre les dents pour que ces horreurs ne se reproduisent plus. Si Barbarin avait eu un peu de décence, il se serait retiré des affaires depuis longtemps…

Dans l’affaire Peyrard, deux victimes de Peyrard se sont suicidées…Ils n’ont pas pu vivre avec l’horreur que leur a fait subir Peyrard….Une seule femme, Clémence, médecin nous a rejoints. Elle a témoigné que son père sur son lit de mort lui avait demandé pardon de ne pas avoir été un père aimant….Qu’il ne l’avait pas été c’est parce qu’il avait été violé par Peyrard. Clémence était effondrée lors du procès….

Aujourd’hui, je suis toujours fragile. J’ai un traitement lourd. Deux séances de psy par semaine… Le procès, le jugement, ce sont des coups, des chocs. Mais comme l’écrit Friedrich Nietzsche “ce qui ne nous tue pas nous rend plus fort”….Je suis reparti pour un long combat. Un chemin de croix. J’y crois. C’est un combat long. Pour tous les enfants que j’ai eus en en classe, pour mes enfants et mes petits-enfants je vais continuer à me battre et à parler….J’ai trop souffert. Je veux que la vérité sorte. Je n’abandonnerai jamais”…..

Autorisation de publication : merci  à Jean-François Roche , à  Mie Kohiyama ,à  l’association moiaussiamnésie

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