La correctionnalisation du viol, la négation d’un crime

Article du Blog de référence de Azhour Schmitt La correctionnalisation du viol,la négation d’un crime

« En finir avec la correctionnalisation du viol »

« En France , il existe une classification tripartite des infractions pénales : les contraventions, les délits et les crimes.

Les peines encourues sont fixées en fonction de la gravité des infractions. Les crimes étant les infractions les plus graves, les peines encourues sont les plus importantes

Le viol est un crime définit par l’article 222-23 du Code pénal :« Tout acte de pénétration sexuelle, de quelque nature qu’il soit, commis sur la personne d’autrui par violence, contrainte, menace ou surprise est un viol… ». Il est passible de 15 ans de prison jusqu’à la réclusion criminelle à perpétuité . (Art. 222.23 ; 222-24 ; 222-25 ; 222-26)

*** En temps de guerre le viol est considéré comme un crime contre l’humanité***

L’agression sexuelle est un délit :

Article 222-27 « Les agressions sexuelles autre que le viol sont punies de cinq ans d’emprisonnement et 75 000 euros d’amende »

Alors même que le viol, est considéré comme la plus grave des violences sexuelle, il fait bien trop souvent l’objet de correctionnalisation.

Érigé par le code pénal au rang de crime il est disqualifié, déclassé en agression sexuelle constitutive d’un délit.

La correctionnalisation, d’abord pratique judiciaire, consiste à soumettre un crime, qualifié au préalable d’agression sexuelle –délit, à un tribunal correctionnel.

A l’évidence, la correctionnalisation minimise le viol et remet en cause cette classification tripartite des infractions et par conséquent l’échelle des peines. Elle méconnaît les règles de la procédure pénale ainsi que le principe d’égalité devant la justice.

Les raisons avancées pour justifier la correctionnalisation ne sont pas très nombreuses, elles sont connues des victimes et des avocats. La raison, pratique jamais avouée aux victimes, c’est le désengorgement des Cours d’Assises(I). Pour éviter une remise en cause de la correctionnalisation le législateur a validé cette pratique par la loi du 9 mars 2004 (II)

I – LES RAISONS DE LA CORRECTIONNALISATION DU VIOL

Le viol est LE crime qui « profite » le plus souvent de la correctionnalisation. Sans doute, parce que dans l’esprit des juges, il est un crime d’importance moindre. Les raisons données aux victimes sont toujours les mêmes (A).
En réalité, cette correctionnalisation n’a qu’une raison bien pratique : celle de désengorger les Cours d’Assises (B).

A – LES RAISONS OFFICIELLES DE LA CORRECTIONNALISATION

1° La rapidité dans le jugement et la plus grande sévérité des juges professionnels, contrairement aux jurés populaires soupçonnés de clémence ou au contraire de trop grande sévérité avec les violeurs présumés.

La rapidité de traitement ne peut pas être niée, une affaire renvoyée devant le tribunal correctionnel sera  beaucoup plus vite jugée qu’un crime qui fera l’objet d’une longue instruction avant d’être jugé par la Cour d’Assise.

Sur ce point des explications toutes récentes (Rapport du Sénateur Yves Détraigne) :
Il arrive en effet souvent que l’autorité judiciaire requalifie un viol en agression sexuelle en passant sous silence certains des éléments constitutifs de l’infraction, ce qui permet de juger les auteurs plus rapidement devant une juridiction correctionnelle plutôt que devant une cour d’assises. […] [1]
Le rapporteur, sénateur de son état, semble avoir oublié que le viol est un crime…

2° La sévérité des juges professionnels, l’agression sexuelle est un délit passible de 5 ans de prison, alors que le viol (hors causes d’aggravations) est punissable de 15 ans de réclusion criminelle. En Cour d’Assises, la peine moyenne prononcée serait de 7 ans.

Réflexion de Maître Laurent Epailly :
Les qualités respectives des uns et des autres, sont exactement inverses. Ainsi, les juges professionnels ont pour eux d’être professionnels, donc d’avoir l’expérience de tels faits et d’avoir une jurisprudence personnelle. L’inconvénient, c’est que la récurrence et la comparaison avec d’autres délits, qu’ils jugent chaque semaine, font qu’ils peuvent aussi relativiser, ce qui se ressent sur la peine. L’autre inconvénient étant qu’ils seront parfois monolithiques… Les jurés eux, sont souvent plus sévères ou pas assez, parce que, justement, l’émotion ou la morale personnelle, compense largement le défaut d’expérience. Cela ne les empêche pas, par ailleurs, de rendre aussi des verdicts équilibrés. [2]

Le gouvernement de François Fillon, n’avait-il pas pour projet d’introduire des jurés populaires dans les tribunaux correctionnels parce qu’il considérait que les juges professionnels n’étaient pas assez sévères ?
Selon le rapport du sénat précité, la correctionnalisation : permet d’éviter d’exposer la victime au traumatisme d’une audience criminelle suivie d’un acquittement
Quelle hypocrisie. Pourquoi partir du principe que cette audience criminelle serait suivie d’un acquittement ? Et, le traumatisme de voir la gravité du traumatisme, de la victime violée, nié, amoindri, minimisé, rangé au rang de délit qui ne mérite pas le budget nécessaire pour être traité en tant que crime. Il arrive en effet souvent que l’autorité judiciaire requalifié un viol en agression sexuelle en passant sous silence certains des éléments
constitutifs de l’infraction.
Le rapporteur admet que la justice passe « sous silence certains des éléments constitutifs de l’infraction. »
Autrement dit les éléments constitutifs de CRIME. Il reconnaît que les viols font l’objet d’une correctionnalisation à outrance.
En réalité, la rapidité de juger qui serait un bénéfice pour les victimes et avant tout un moyen pour désengorger les Cour d’Assises au mépris des droits des victimes de viols.

Autre argument : les représentants de magistrats, ont souligné que cette pratique était paradoxalement souvent profitable à la victime, notamment lorsque certains des éléments constitutifs du viol paraissent difficiles à établir et qu’une requalification des faits en agression sexuelle permet d’éviter d’exposer la victime au traumatisme d’une audience criminelle suivie d’un acquittement. Les magistrats (juges d’instruction) qui utilisent une facilité
(la correctionnalisation) ne vont pas admettre que la correctionnalisation est surtout une procédure qui leur permet de gagner du temps sur les nombreux dossiers qu’ils ont à instruire. Il est vrai que les « éléments constitutifs du viol paraissent difficiles à établir. » Mais dans combien de cas ? « Difficiles à établir » ne signifie pas impossible. A-t-on au moins enquêté ? J’en doute et quoi qu’il en soit, ces cas dont les preuves seraient tellement difficiles à apporter représentent-ils 50 à 70 % des viols (taux de correctionnalisation des viols) ?
Il n’est pas surprenant que la présidente du Collectif féministe contre le viol, l’association la plus représentative des victimes de viols, s’élève contre la correctionnalisation des viols. Mais nous avons UNE Association face à DES représentants des magistrats !
La cause est entendue, le désencombrement des Cour d’Assises peut continuer au détriment des victimes de viol.

B- LE DESENGORGEMENT DE LA COUR D’ASSISES : RAISON D’ETRE DE LA CORRECTIONNALISATION DU VIOL

Que disent les représentants du peuple à propos de la correctionnalisation ? :
Elle répond pour l’essentiel aujourd’hui à l’objectif de décharger les cours d’assises qui, compte tenu de la lourdeur de la formation des jurés et de la lenteur des procès, se trouvent, en particulier dans les départements urbains, très encombrées [3].

Est-ce un hasard si le domaine dans lequel il y a le plus de correctionnalisation c’est le viol ? Comment peut-on dire à la fois qu’il faut lutter contre les violences sexuelles et faire subir un tel traitement aux personnes qui ont vécu la plus grave des violences ?

Certains avocats qui participent à cette mascarade, prétendent respecter la volonté des victimes qui préfèrent éviter la Cour d’Assise :
Récemment, notre Cabinet a été confronté à plusieurs reprises à cette question : dans un premier cas, nous avons refusé une correctionnalisation de l’affaire compte tenu de la spécificité des faits et de leur particulière violence, dans un second cas, nous l’avons acceptée en raison de la volonté clairement affirmée de la victime d’éviter un procès devant une Cour d’Assises [4].

Qui a soufflé à la victime que le procès en Assise serait à ce point insupportable ?

Il n’y aurait pas autant de viol correctionnalisé si de nombreux avocats n’étaient pas un appui, au juge d’instruction, à convaincre la victime de viol d’accepter la décriminalisation de ce qu’elle a subit.

Le choix de la politique pénale n’est pas un choix individuel. Depuis quand est-ce à la plaignante de qualifier les violences dont elle a été la victime ?
Les viols sont à l’origine de graves conséquences sur l’intégrité physique et psychique directement liées à l’installation de troubles psychotraumatiques sévères (dont l’état de stress post traumatique) qui, s’ils ne sont pas pris en charge spécifiquement et si les victimes ne sont pas secourues, crues et bien accompagnées, peuvent se chroniciser et durer de nombreuses années, voire toute une vie, et avoir un impact très lourd sur la santé des victimes. Les viols ont le triste privilège d’être avec la torture celles qui vont avoir les conséquences psychotraumatiques les plus graves, avec un risque de développer un état de stress post traumatique chronique très élevé, avec jusqu’à 80 % de risque de les développer alors que lors de traumatismes en général il n’y a que 24 % de risques. Lors de viols, la mise en scène de meurtre de l’agresseur associée à sa volonté de faire le plus souffrir la victime, de la dégrader, de l’humilier et de porter atteinte à sa dignité, génèrent chez les victimes un sentiment de mort psychique, elles se perçoivent comme des survivantes et même, pour certaines, comme des « mortes vivantes » https://stopauxviolences.blogspot.com/2012/03/dernier-article-de-muriel-salmona-avec.html

Comment la victime de viol peut-elle être en mesure de faire un choix si même celui qui l’a défend lui recommande d’accepter la « proposition » du juge. Combien de victimes se rendent vraiment compte que ce qu’elles ont subi va être nié … Savent-elles seulement que le viol dont elles ont été les victimes sera rangé dans la case délit :

La correctionnalisation n’en soulève pas moins des difficultés de principe. Elle déforme assez largement les informations des casiers judiciaires » [3]

Savent-elles que leur violeur, lorsqu’il violera une seconde fois ne sera pas considéré comme « récidiviste » parce que la première fois il n’a pas été condamné pour viol mais pour agression sexuelle. Je doute qu’une victime de viol veuille participer à un tel mensonge ! Et si, un violeur viole une autre femme après? Et si, encore une fois, il est jugé en correctionnel pour agression sexuelle… Et si, la victime participe malgré elle à ce que le violeur viole une autre femme parce que la justice aura dénié son crime ?

Le magistrat soutenu parfois par l’avocat fait peur à la victime pour que celle-ci admette la correctionnalisation, on lui demande d’accepter que son violeur ne soit qu’un délinquant et pas un criminel ! Il s’agit de faire peur (parfois même de tromper, mais n’est-ce pas toujours une tromperie ?) à la victime pour qu’elle participe à la négation du crime dont elle a été l’objet !

Cette correctionnalisation participe de l’ignorance et ou de l’indifférence dont la société fait preuve dès lors qu’il s’agit de violences sexuelles. Comment peut-on admettre que les violeurs dont la loi a fait des criminels seront dans la majorité des cas considérés comme des délinquants ? 70 000 femmes violées par an ne portent pas plainte. Elles sont encouragées à le faire !

En quoi faire du viol un non crime encouragerait des victimes brisées à sortir de leur silence ?

Quel est l’impact de cette correctionnalisation sur l’inconscient collectif ?

Comment la société pourrait-elle prendre conscience des dégâts considérables provoqués par les viols lorsque ces viols sont minimisés, décriminaliser par la justice et le législateur ?

Le viol est-il encore un crime quand dans 50 à 70% des cas il est correctionnalisé ?

La correctionnalisation est un viol de la Loi, pourtant le législateur a consacré l’illégalité de ce qui n’était qu’une vilaine tradition judiciaire.

II – LA CORRECTIONNALISATION : DE LA PRATIQUE JUDICIAIRE A LA CONSÉCRATION LÉGISLATIVE

Avant d’être consacrée par le législateur, la pratique de la correctionnalisation a été condamnée à plusieurs reprises [5] par la chambre criminelle (A) : c’est probablement ces condamnations qui sont à l’origine de la Loi Perben II (B)

A – LA CORRECTIONNALISATION AVANT SA CONSÉCRATION PAR LE LÉGISLATEUR

Pour que la procédure de correctionnalisation puisse aboutir il faut le consentement de toutes les parties, victime, ministère public et auteur.

L’auteur ? Comment pourrait-il ne pas consentir alors que la correctionnalisation est tout à son avantage ? A l’évidence le criminel préférera toujours descendre au niveau de délinquant avec la peine elle aussi toujours plus faible. De criminel, il devient délinquant. En tant que criminel il risque 15 ans de prison. Comme délinquant, il en risque [5].

Chaque partie peut soulever l’incompétence du Tribunal correctionnel (le crime étant de la compétence de la Cour d’Assises) le Tribunal Correctionnel peut relever cette incompétence d’office (anc. art.469 CPP) :
Si le fait déféré au tribunal correctionnel sous la qualification de délit est de nature à entraîner une peine criminelle, le tribunal renvoie le ministère public à se pourvoir ainsi qu’il avisera.
En réalité, l’incompétence du Tribunal Correctionnel a été peu soulevée (mais assez pour faire réagir le législateur ?)

La victime devait sans doute même ignorer cette possibilité. Moi je l’ignorais. Quant à l’auteur, il n’y avait aucun intérêt. Autant dire que le message envoyé à l’auteur du viol est digne d’un pardon judiciaire.

Cette correctionnalisation est pourtant contraire aux règles de procédures pénales. Une atteinte à la compétence des juridictions en vertu de laquelle, les crimes sont jugés exclusivement par les Cours d’Assises, les délits par les Tribunaux Correctionnels et les contraventions par les Tribunaux de Police. Cette règle de compétence matérielle des juridictions est d’ordre public [5].

Illustration par une décision de la Chambre criminelle :
Doit être cassé l’arrêt de la cour d’appel qui, pour les déclarer coupables d’agressions sexuelles, relève que les prévenus ont sodomisé la victime et se sont fait pratiquer des fellations par elle, de tels faits constituent des pénétrations sexuelles et se trouvent justiciables de la cour d’assises.

Des faits criminels renvoyés devant le tribunal correctionnel ! Il y a eu pénétration « sodomie » et « fellations », des faits constitutifs du crime de viol, seule la Cour d’Assise est compétente pour juger des crimes. Ici, la chambre criminelle a eu l’occasion de se prononcer sur l’illégalité de la pratique. Mais combien de viols ont échappés à la qualification de crime ? Combien de victimes se sont vues nier dans leurs droits pour désencombrer les Cours d’Assises.
Combien de temps encore va-t-on traiter le viol comme un crime mineur quand il n’est pas simplement déclassé au rang de délit ?

Les viols disqualifiés en agressions sexuelles ne feront jamais parties des statistiques « viols ». Les chiffres sont faussés :

  • 10 % seulement des victimes de viol portent plainte
  • 3% feraient l’objet d’un procès (procès en Cour d’Assises seulement)
  • 1% seulement font l’objet d’une condamnation.

Ici encore il s’agit de 1% de condamnation en Cour d’Assises. On ne peut parler de viols disqualifiés puisque statistiquement ils font partie du délit d’agressions sexuelles et non du crime de viol ! Les victimes qui ont soidisant acceptées la correctionnalisation savent-elles qu’elles sont niées jusqu’à être hors statistiques ?

Et, si les viols n’étaient plus correctionnalisés ?
[…] on retient l’estimation basse de 50% des viols correctionnalisés.
Les viols correspondant à la moitié des affaires jugées aux assises, l’activité des cours d’Assises devrait donc être augmentée de 50% [6]
Le législateur en a décidé autrement : une correctionnalisation, une négation de crime pour de basses raisons budgétaires ; une correctionnalisation contraire aux principes fondamentaux du droit.

B – UNE PRATIQUE ILLÉGALE VALIDÉE PAR LA LOI (CONTRA LEGEM)

La correctionnalisation ne porte pas seulement atteinte à la compétence matérielle des juridictions pénales. Elle est aussi contraire au principe d’égalité devant la Loi. Rappelons que le principe d’égalité devant la loi i figure à l’article 6 de la Déclaration Universelle des Droits de l’homme. Le Conseil Constitutionnel l’a consacré dès 1975 en affirmant que le principe d’égalité de tous les individus devant la justice possède une valeur constitutionnelle. Une violation dénoncée par le Professeur Rebut :

il y a là une situation qui est résolument contraire au principe d’égalité des justiciables devant la justice. On sait certes que celui-ci peut souffrir des exceptions. Mais celles-ci ne doivent pas procéder de discriminations injustifiées. On peut préciser que c’est le cas pour la correctionnalisation dont la
mise en oeuvre dépend pour beaucoup de circonstances fortuites relatives au nombre d’affaires renvoyées devant la cour d’assises ». [3]

Dès lors nous aurons plus de violeurs (et de victimes de viol) à Trifouilly-les-Oies qu’à Paris. L’exception dont parle Monsieur le professeur Rebut n’en est effectivement plus une lorsqu’il s’agit de la correctionnalisation appliquée au viol. L’exception aujourd’hui c’est le viol non correctionnalisé, non disqualifié en délit.
L’exception c’est le viol condamné en tant que crime. Sachant qu’il y a environ 10% de plaintes pour viol (75 000 par an) et 1 à 2% des viols condamnés (Cour d’Assises). Y’ aurait-il 8% de correctionnalisation ?

Selon V. Goaziou et L. Mucchielli :
Du côté des statistiques administratives, l’on relève une multiplication par cinq des faits de viol (ou tentative de viol) constatés par les services de police ou de gendarmerie en l’espace de 40 ans : dans les années 1970, autour de 1 500 viols par an sont enregistrés alors que l’on atteint aujourd’hui la barre des 10 000. Enfin, les statistiques judiciaires montrent une nette augmentation du nombre de personnes condamnées pour viol entre les années 1980 et aujourd’hui, ainsi qu’une sévérité accrue de la justice : de 1984 à 2008, la part des peines de 10 à 20 ans de prison pour les auteurs de viols a crû de 16 à 40 % [7]

Serait-ce cette « inflation » des plaintes pour viol qui a décidé le législateur à légaliser une procédure contraire à tous les principes généraux de notre droit ? En effet, la Loi Perben II du 9 mars 2004 a quasiment permis la légalisation de la correctionnalisation des crimes en délit. Elle fixe des conditions qui limitent les droits des victimes à faire appel de la décision de renvoi :
La personne mise en examen et la partie civile peuvent interjeter appel des ordonnances prévues par le premier alinéa de l’article 179 dans le seul cas où elles estiment que les faits renvoyés devant le tribunal correctionnel constituent un crime qui aurait dû faire l’objet d’une ordonnance de mise en
accusation devant la cour d’assises.

Autrement dit, si la victime ne dénonce pas la disqualification pendant le temps de l’instruction, elle ne pourra plus soulever le moyen de l’incompétence (art.186-3 CPP). C’est bien calculé, une victime de viol traumatisée et fragile pourrait se faire convaincre assez facilement de correctionnaliser son viol surtout si son avocat le préconise. Quelque temps plus tard elle pu se reprendre, avoir eu d’autres conseils, et quand arrive le procès elle prend conscience qu’elle a été trompée… Trop tard ! La Loi Perben II lui interdit de faire application de son droit à ce que le crime soit considéré comme un crime.

La loi empêche aussi le Tribunal correctionnel de relever sa propre incompétence :
Lorsqu’il est saisi par le renvoi ordonné par le juge d’instruction ou la chambre de l’instruction, le tribunal correctionnel ne peut pas faire application, d’office ou à la demande des parties, des dispositions du premier alinéa, si la victime était constituée partie civile et était assistée d’un avocat lorsque ce renvoi a été ordonné.

Si la victime est partie civile au procès et qu’elle a bénéficié de l’assistance d’un avocat. Le tribunal Correctionnel ne peut soulever sa propre incompétence lorsque l’affaire lui est renvoyée par le juge d’instruction. Alors que le Tribunal correctionnel constate que les éléments sont constitutifs d’un crime et qu’il est par conséquent incompétent pour en juger (principe d’ordre public), il se doit d’obéir à une loi contraire à la Loi.

Certains disent que la loi a mis un garde-fou qui serait ce fameux consentement de la victime avant toute correctionnalisation. Sauf qu’il ne s’agit que de « l’accord au moins tacite », nous sommes loin d’un accord libre et éclairé.

Dans le rapport (supra [1]), les membres de la Commission, pour rejeter l’allongement du délai de prescription pour les agressions sexuelles, font particulièrement référence à la qualification tripartite des infractions

  • M. Jacques Mézard « Notre droit pénal est fondé sur une hiérarchie entre crimes, délits et contraventions »
  • M. Alain Anziani « La distinction des crimes, délits et contraventions est au fondement de notre système pénal »
  • M. Nicolas Alfonsi « je suis férocement hostile à ce texte, qui porte atteinte aux principes généraux du droit »

En effet, Monsieur Alfonsi, la correctionnalisation porte plus qu’une atteinte à la compétence des juridictions pénales, elle viole aussi un principe à valeur constitutionnelle, cela ne semble pourtant pas vous déranger.

Le rapporteur de la Commission, le sénateur Yves Détraigne, « Notre droit pénal établit une distinction claire entre le viol et la tentative de viol, crimes […] et les autres agressions sexuelles, délits … »

Comment ça Monsieur le sénateur ? Pensez-vous que la Loi Perben II maintienne cette distinction « claire » entre le crime (viol) et le délit (agression sexuelle). Bien sur que non… Serions nous dans la « logique » du deux poids, deux mesures. Rappeler les principes fondamentaux pour rejeter l’allongement de la prescription et les oublier lorsqu’il s’agit de minimiser le viol ? Comment peut-on permettre que la Loi viole la Loi ?

Aujourd’hui, le viol n’est un crime que par la volonté d’un magistrat. A fortiori si ce magistrat ne rencontre aucune résistance de la part de l’avocat de la victime.

Les avocats qui soutiennent cette correctionnalisation ont une très grande responsabilité dans la minimisation du viol. Où est passé l’avocat vu comme le dernier « rempart contre l’arbitraire » ? Il en reste quelques-uns heureusement, on aimerait juste les entendre un peu plus.
Alors soyons clairs : les victimes ont moins besoin d’un gadget de JUDEVI (juge des victimes), de CRPC aux Assises, d’imprécations sur fond d’arrière-pensées politiques, la main sur le coeur, « les victimes ! Les victimes ! Un avocat à l’AJ, là, tout de suite, maintenant », que de la possibilité réelle, matérielle et budgétaire, de voir l’auteur de leur viol passer aux Assises et pas devant un Tribunal Correctionnel [2]

Il serait, en effet, temps de respecter les victimes de viol dans leurs souffrances qui perdureront bien longtemps après que le violeur sera sorti de prison.

Il est temps de mettre fin à cette farce juridique. »

REFERENCES
[1] https://www.senat.fr/rap/l11-249/l11-249.html
[2] https://avocats.fr/space/laurent.epailly/content/a-quoi-reconnait-on-une-democratie–_2657AC69-89DC-41C1-97A4-F6CE867B110
[3] https://www.senat.fr/compte-rendu-commissions/20110502/lois.html#toc6
[4]
[5] https://fxrd.blogspirit.com/archive/2008/11/13/la-correctionnalisation-judiciaire.html
[6] https://mobile.agoravox.fr/actualites/societe/article/le-deni-de-la-violence-sexuelle-en-101699
[7] https://www.criminologie.com/article/viol

Azhour Schmitt, Victoire Viannay, 2012,

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