La psychanalyse à l’épreuve de la réalité de l’inceste

Source : Regard Conscient

Regard Conscient , projet de recherche

Prévenir les victimes d’inceste de certains aveuglements thérapeutique

par Vincent Caux *

Résumé : Le complexe d’Œdipe formulé par Freud évacue presque totalement la responsabilité des adultes dans la genèse des troubles psychiques. Un refoulement qui est toujours d’actualité dans les pratiques et les théories psychanalytiques fidèles à la théorie des pulsions. Cette façon de considérer les choses a amené beaucoup de psychanalystes à ignorer, voire masquer les abus réels subis par les enfants.

La psychanalyse et les avancées thérapeutiques qu’elle a suscité durant le siècle dernier ont joué un rôle majeur dans la mise en lumière des traumatismes infantiles fondamentaux que sont l’inceste et les abus sexuels. Pour autant, l’histoire qui noue la découverte sociale de l’inceste et la construction de la psychanalyse est tout à fait paradoxale. Elle est faite de découvertes inédites et de réflexions fécondes, de faux-pas, de véritables tromperies, de révélations courageuses et de redécouverte tardives. Pour comprendre ces paradoxes, il est nécessaire de remonter au fil de cette histoire.

Une régularité ahurissante

Il y a plus d’un siècle, en 1886, le docteur neurologue Sigmund Freud pris connaissance à la morgue de Paris, auprès du professeur Brouardel, des terribles abus fréquemment perpétrés sur les enfants et dont on pouvait observer les conséquences. Le jeune Freud fut fortement marqué par cette expérience et dix ans plus tard, en 1896, il parvint au terme d’une démarche qui lui avait fait prendre conscience d’une terrible réalité, à la fois scientifique et personnelle. Au cours des années écoulées, Sigmund Freud en était venu à penser que la quasi-totalité des patientes et des patients qu’il soignait ou observait alors avait en fait été abusés ou maltraités sexuellement durant leur enfance et que leurs troubles étaient dus essentiellement à ces traumatismes. Leurs souvenirs et témoignages se recoupaient avec une régularité ahurissante qui ébranlait profondément le jeune docteur et théoricien. Il en fit mention dans ses notes, et exprima son étonnement et ses interrogations notamment dans sa correspondance, en partie occultée par les archives freudiennes et récemment mise à jour par J.M Masson (voir J.M. Masson – Le réel escamoté). Un peu moins d’un an plus tard, en 1897, Freud ne croit plus à sa neurotica , c’est-à-dire à l’hypothèse du traumatisme originaire, et élabore, en peu de temps, le complexe d’Oedipe qui remplacera désormais avantageusement la  » théorie de la séduction  » élaborée à force d’observations durant les années précédentes. Freud sera peu généreux en explication en ce qui concerne les raisons qui présidèrent à un tel bouleversement.

Pourquoi ?

Un extrait d’une lettre de Freud envoyée à Fliess, le 21 Septembre 1897, fait mention du motif explicite de ce revirement :  » la surprise de constater que dans chacun des cas, il fallait accuser le père de perversion, le mien non exclu … alors qu’une telle généralisation des actes commis envers les enfants semblait peu croyable.  » La seule raison évoquée ici par Freud pour ignorer dorénavant ses propres conclusions sur la genèse des troubles psychiques, est que cette hypothèse semble  » peu croyable  » au vu du nombre très important d’abus qu’il lui aurait alors fallu d’abord constater et déduire en général. On peut comprendre une telle surprise, le besoin de précaution scientifique, et l’effroi devant une telle conclusion, mais cette seule réticence a suffi alors à invalider une hypothèse pourtant issue de multiples observations et recoupements.

Après l’enterrement du père, un rêve

Évidemment, on n’aura pas manqué de noter avec stupeur que Freud inclut son propre père parmi ceux qu’il tient lui-même au nombre des  » pervers « . En effet, le motif affectif et profond de ce changement soudain consiste vraisemblablement en ce que les observations originales de Freud menaient celui-ci à accuser son propre père, décédé récemment en octobre 1896, ainsi qu’en témoigne également cet autre extrait d’une lettre adressée à son grand ami, le docteur Wilhelm Fliess :  » Malheureusement mon propre père était un de ces pervers, il est cause de l’hystérie de mon frère (dont les états sont dans l’ensemble des processus d’identification) et de certaines de mes sœurs cadettes. La fréquence de ce type de rapport me donne souvent à réfléchir.  » Pendant la nuit qui suivit l’enterrement de son père, Freud fit un rêve empreint de culpabilité et y lu une pancarte :  » On est prié de fermer les yeux.  » On est prié de fermer les yeux sur quoi ? se demande-t-on … Freud peut fermer les yeux du père défunt, certes, mais aussi fermer les yeux sur les fautes du père décédé, peut-on supposer. Un autre élément sans doute d’importance très notable est que l’influent ami intime avec qui Freud a correspondu pendant des années, Wilhelm Fliess, que la plupart de ses biographes s’accordent à désigner comme le sujet d’une affection transférielle de la part de Freud, fut lui-même un père incestueux, comme le révélera plus tard le témoignage de son propre fils, Robert Fliess.

En définitive, le complexe d’Oedipe que formula Freud en 1897 évacuait brusquement et presque totalement la responsabilité et la culpabilité des adultes dans la genèse des troubles psychiques, par exemple dans l’hystérie féminine pour laquelle Freud avait pourtant affirmé :  » le fondement de l’accès hystérique est un souvenir, la revivification d’une scène ayant joué un rôle important dans la maladie.  » (note de 1892). Mais le complexe œdipien est en contradiction plus que superficielle avec ces conclusions et fit à nouveau de l’hystérie une malédiction sans causes externes au sujet, le produit d’un fantasme.

Genèse ignorée du mythe d’Œdipe

Il est alors sans doute utile de rappeler que le mythe original d’Œdipe, dans son intégralité, ne se résume pas à la seule culpabilité du fils condamné à un destin tragique qui le mènerait sans raison à l’inceste maternel et au parricide, comme le voudrait la version freudienne. La tragédie œdipienne débute en réalité par un crime perpétré par Laïos, le père d’Œdipe et roi de Thèbes, qui séduit, enlève et tue le jeune Chrysippe. La malédiction qui s’abat sur lui et sa descendance est la conséquence et punition de ce crime dont Œdipe n’est que le bouc émissaire. Cette genèse ignorée par la psychanalyse et par Freud, pourtant érudit et passionné en la matière, est l’image parfaite du refoulement profond des causes réelles de la souffrance des patients et patientes du célèbre docteur. Tout ce qui précède est autrement plus brillamment démontré par l’ouvrage de la psychanalyste Marie Balmary (in L’Homme aux Statues ou La Faute Cachée du Père) qui s’est attachée à étudier les origines de la psychanalyse.

Ce refoulement opéré par Freud est malheureusement toujours d’actualité dans les pratiques et les théories d’une psychanalyse qui reste fidèle à la théorie des pulsions.

Pourtant, dès l’origine du mouvement psychanalytique, quelques thérapeutes et théoriciens ont pris au sérieux la parole des patients qui leurs livraient émotions et souvenirs intimes : il s’agit de thérapeutes comme Sandor Ferenczi ou Wilhelm Stekel, disciples puis dissidents de Freud. Pour Sandor Ferenczi, l’héritier spirituel un moment pressenti du père de la psychanalyse, son différend avec Freud et sa mise à l’écart par celui-ci résida clairement dans le fait que Ferenczi ne se décidait plus à remettre en question la réalité des traumatismes rapportés par ses différents patients. Certains textes et discours, dont notamment La confusion de langue entre les adultes et les enfants qui décrivait déjà à l’époque assez précisément et courageusement la dynamique psychologique de l’abus sexuel et incestueux, le tinrent définitivement à l’écart du courant analytique officiel. Ferenczi déclarait notamment que :  » le complexe d’Œdipe pourrait bien être le résultat d’actes réels commis par des adultes, c’est-à-dire de passions violentes à l’égard de l’enfant, qui alors développe une fixation, non par désir, mais par peur.  » ou encore  »

L’objection, à savoir qu’il s’agissait de fantasmes de l’enfant lui-même, c’est-à-dire de mensonges hystériques, perd de la force, par suite du nombre considérable de patients en analyse qui avouent eux-mêmes des voies de fait sur des enfants. « . Et bien que Ferenczi demeura longtemps discret dans cette remise en cause, cette position ne manquait pas de heurter les thèses freudiennes. Wilhelm Stekel, marginal au sein du mouvement psychanalytique, voyait lui la cause des troubles sexuels et psychiques de ses patients dans la position psychologique d’esclavage familial vécu infantilement par beaucoup d’entre eux et dans leur haine refoulée vis-à-vis de leurs parents (Wilhelm Stekel – L’Homme Impuissant ; La Femme Frigide). Mais la plupart de ces considérations furent très vite marginalisées et oubliées par le mouvement psychanalytique, alors en plein essor. Les analystes désirant être intégrés au mouvement en confirmaient les thèses majeures, y compris au sein de leur propre analyse didactique, en y intégrant le complexe d’Œdipe.

Le nourrisson est vu comme un être hostile

Le lieu de la théorie et de la pratique psychanalytique se tint désormais dans la mise à jour de la sexualité refoulée et de l’inconscient avec pour trame fondamentale  » l’Œdipe « , c’est-à-dire le fantasme sexuel spontanément développé par l’enfant et projeté sur le parent de sexe opposé. Cette façon de voir a conduit la psychanalyse classique à attribuer systématiquement aux enfants des envies et des besoins sexuels démesurés, d’ordre obsessionnel, presque exclusivement de nature égoïste, hostile et orientés de façon altruiste uniquement sous la contrainte externe et éducative. La cause des troubles psychiques se trouvait placée dans le complexe d’Œdipe, complexe qui pouvait demeurer non-résolu pour des raisons plutôt mystérieuses. Par la suite, de nombreux thérapeutes et théoriciens de la psychanalyse ont développé des thèses plaçant les désirs pervers de l’enfant au cœur de la maladie psychique et de la problématique de l’inceste. Freud avait en son temps déjà qualifié l’enfant de  » pervers polymorphe « , identifiant des désirs sexuels violents et sauvages dans beaucoup de leurs gestes et attitudes normales.

Par la suite, Mélanie Klein développa de la même manière la théorie dite du  » nourrisson cruel « , avide de la dévoration sadique du sein maternel, et parvint même à situer le complexe d’Œdipe dans les tout premiers mois de la vie de l’enfant. Un thérapeute reconnu comme Edward Glover a pu dire :  » Par rapport aux critères sociaux de l’adulte, le petit enfant normal est tout simplement le criminel né.  » (E.Glover – 1970 – cité dans La Connaissance Interdite de Alice Miller). Ainsi, tout un tas d’attitudes infantiles ont pu être interprétées par la suite non pas pour ce qu’elles manifestaient (tristesse, joie, colère, peur, anxiété, excitation, curiosité, etc…) mais pour des  » caprices  » intrinsèquement hostiles ou bien des manœuvres stratégiques œdipiennes destinées à satisfaire des envies et des rivalités sexuelles inévitables. On ne peut évidemment pas affirmer que de tels phénomènes n’existent absolument pas, mais ils sont beaucoup moins inconditionnels que ce qu’a prétendu la théorie analytique, c’est à dire qu’ils sont éminemment dépendants du contexte affectif qui nourrit l’enfant. L’interprétation œdipienne a, en revanche, toujours été faite au bénéfice de la thèse de l’innocence de l’adulte dans sa relation à l’enfant.

Abus réels ignorés

Par la suite, cette façon de considérer les choses a amené la psychanalyse et beaucoup de psychanalystes à complètement ignorer, voire à masquer les abus réels subis par les enfants. Les abus et attitudes abusives ont même été amplement justifiés par plusieurs spécialistes et non-spécialistes, sous couvert de pratiques et théories d’avant-garde, comme au cours des années soixante-dix et comme le fit par exemple la célèbre psychanalyste Françoise Dolto interrogée par la revue Choisir :

Choisir – Mais enfin, il y a bien des cas de viol ?
F. Dolto – Il n’y a pas de viol du tout. Elles sont consentantes.

Choisir – Quand une fille vient vous voir et qu’elle vous raconte que, dans son enfance, son père a coïté avec elle et qu’elle a ressenti cela comme un viol, que lui répondez-vous ?
F. Dolto – Elle ne l’a pas ressenti comme un viol. Elle a simplement compris que son père l’aimait et qu’il se consolait avec elle, parce que sa femme ne voulait pas faire l’amour avec lui.

Et plus loin :

Choisir – D’après vous, il n’y a pas de père vicieux et pervers ?
F. Dolto – Il suffit que la fille refuse de coucher avec lui, en disant que cela ne se fait pas, pour qu’il la laisse tranquille.

Choisir – Il peut insister ?
F. Dolto – Pas du tout, parce qu’il sait que l’enfant sait que c’est défendu. Et puis le père incestueux a tout de même peur que sa fille en parle. En général la fille ne dit rien, enfin pas tout de suite.

(Entretien cité dans Le Viol du Silence de Eva Thomas)

Évidemment, quand on connaît l’impact considérable qu’a pu avoir une psychanalyste comme Françoise Dolto sur beaucoup d’éducateurs ou de parents, on frémit d’avance en imaginant les conséquences engendrées par de tels propos. Cet impact est d’autant plus grand pour les patients ayant dû renoncer à leurs souvenirs et émotions d’enfants sous la pression d’un thérapeute réticent à entendre la vérité. Il faut ici également bien se rendre compte comment les défenses psychiques développées par une victime d’inceste peuvent être en partie manipulées au cours d’une cure répondant aux dogmes de l’analyse classique. De fait, la plupart des souvenirs de scènes traumatiques ne se manifestent aux victimes que sous la forme de symptômes physiques, de troubles sexuels, d’angoisses cryptées, de fantasmes, de rêves ou de régressions sans rapport avec un traumatisme consciemment remémoré par le sujet. Il est donc aisé pour un thérapeute de dire à son patient que ces images et émotions sont des fantasmes œdipiens, irréels et sans support historique dans la vie de celui-ci, dans la mesure où ces souvenirs censurés sont effectivement vécus, défensivement, comme étant irréels par le psychisme du patient.

La plupart des victimes trouvent là un renforcement intense à leurs propres refoulements, ce qui n’apaise généralement pas longtemps, malheureusement, les angoisses infantiles profondes qui les assaillent. Le but définitif d’une analyse a longtemps été, et est encore fréquemment, d’affranchir les parents et les adultes de toute responsabilité vis-à-vis de l’enfant, de toute culpabilité quant au mal qu’on lui a fait ou bien de leur pardonner immédiatement pour ensuite en charger l’analysé lui-même, en situant la cause ultime du mal vécu dans un inexplicable  » complexe d’Œdipe mal résorbé « . Il ne s’agit pas pour ici de faire croire que l’enfant est un être affranchi de désirs ou de sensations d’ordre sexuel, mais de dire que sa sexualité est en de nombreux points tout à fait distincte de celle de l’adulte et surtout qu’il n’est pas prêt à supporter l’intensité d’un désir ou d’une excitation sexuelle mature ; prenons-en pour preuve les dégâts colossaux infligés aux victimes et les séquelles psychiques qui les affligent. En cas d’abus, l’enfant introjecte ces désirs adultes et en fait les siens, faute de pouvoir s’y soustraire :  » De faux souvenirs masquant de vrais fantasmes ou de vrais souvenirs éclatant en fantasmes ?  » est finalement la question à laquelle la psychanalyse se doit de répondre réellement.

Protéger les bourreaux

La pratique psychanalytique, aujourd’hui, a déjà quelque peu évolué, heureusement. Elle a su prendre en compte certains faits indépassables et quelques thérapeutes ont dénoncé publiquement les abus thérapeutiques qui redoublaient les abus sexuels vécus par les patients. Il y a désormais d’assez nombreux thérapeutes, psychanalystes ou non, qui reconnaissent la réalité des traumatismes infantiles dans la genèse des troubles psychiques et y accordent véritablement toute leur attention. Parmi les spécialistes connus qui se sont exprimés très clairement à ce sujet, on peut noter les noms d’Alice Miller ou plus récemment de Susan Forward. On sait désormais que les enfants peuvent se rendre malades non seulement par le refoulement de désirs ou de haines cachées, mais aussi simplement par amour, pour protéger leurs bourreaux qui se trouvent bien souvent être leurs propres parents et leur proche entourage.

Ces discours restent néanmoins confidentiels et peu connus d’un public qui est par ailleurs assez souvent familiarisé à la thèse classique de l’Œdipe. Une proportion encore majoritaire de professionnels reste fidèle aux dogmes de la théorie freudienne et ne laisse pas un patient évoquer ses souvenirs sans émettre un doute sur la réalité de ceux-ci ou sans les accueillir de façon négative (ce que les patients font d’ailleurs très bien pour eux-mêmes), d’autant plus que même des thérapeutes déclarant par principe être attentifs à l’étiologie traumatique peuvent y être sourds dans les faits ou assez dissuasifs pour ne pas y être confrontés. On peut également constater que la grande majorité de la littérature psychanalytique spécialisée reste souvent muette ou cryptique quant à l’inceste considéré autrement que comme un fantasme infantile. Le dogme psychanalytique reste également souvent emprunt d’une approche intellectualiste manifestant un goût prononcé pour les grammaires hermétiques et les néologismes cryptés qui sont un gage d’emprise savante vis-à-vis des non-analystes et des analysés eux-mêmes, et ce qui dédouane souvent les thérapeutes de prendre en compte des observations parfois très simples et vérifiables concernant leurs patients ou des cas similaires. Cette tradition concourt inévitablement à la non-reconnaissance du vécu émotionnel des victimes d’inceste.

Justifications de la violence à l’égard des enfants

Certains diront que cet aveuglement est maintenant révolu, qu’il est circonscrit à la méthode analytique, qu’il n’existe pas dans les nouvelles méthodes thérapeutiques enseignées ou que les thérapeutes actuels sont dorénavant à l’abri de tels phénomènes. Cet aveuglement, la négation ou la mise en doute des traumatismes subis sont malheureusement toujours d’actualité, quotidiennement pratiqués en thérapie et enseignés aujourd’hui encore aux étudiants dans les facultés de psychologie. Beaucoup d’autres types de thérapies, classiques, réformées et actuelles détournent activement le regard des traumas réels pour ne s’intéresser qu’à des fictions psychologiques ou à des traitements symptomatiques superficiels. Toutefois, cette façon de masquer les faits et la réalité du sort fait à l’enfance n’est pas une invention de la psychanalyse ou de la psychologie : c’est un modus vivendi de l’autorité sociale et familiale humaine dont certaines valeurs en sont encore largement partagées, comme l’amour inconditionnel aux parents, le renoncement à soi, la minimisation de ses propres souffrances (actuelles et infantiles), la justification de la violence à l’égard de l’enfant (claques, fessées et diverses humiliations) ou la projection des désirs de l’adulte dans l’enfant (le mythe de l’enfant sexuellement précoce, violent ou pervers) .

Il faut tout de même insister sur ce fait essentiel que la révélation de l’inceste et des maltraitances entraîne nécessairement l’accusation du père, de la mère ou de la famille, et des valeurs éducatives partagées par l’immense majorité de la population. Rien ne semble socialement plus dangereux que cette mise en accusation et ce bouleversement de l’ordre établi de l’adulte sur l’enfant, du plus fort sur le plus faible… Il suffit d’observer les énormes difficultés et résistances rencontrées en matière de lutte contre la maltraitance pour s’en convaincre. Le père ou la mère introjectés en chacun de nous intiment de garder silence et nous rappellent que l’  » on est prié de fermer les yeux  » ! Nous savons aujourd’hui que seule une fraction infinitésimale des abus est réellement signalée. Cela tient au fait qu’un enfant est toujours incapable de se défendre et n’est presque jamais libre de parler mais aussi que, dans les rares cas où il tente de s’exprimer, il faut l’entendre réellement et de ne pas se réfugier derrière des  » théories boucliers « . Mais c’est encore trop peu souvent le cas. Quant aux victimes devenues adultes, leur sort dépend souvent d’une oreille attentive, d’une émotion partagée et ainsi libérée qu’elles ne trouvent fréquemment que tardivement, de longues années après les faits et après de multiples thérapies sans succès.

La psychanalyse à l’épreuve de la réalité

La psychanalyse grâce à son orientation à l’écoute du sujet est pourtant l’une des thérapies les plus efficaces à l’aide de ses patients en général et dans la mise à jour de leurs traumas infantiles en particulier. Elle est surtout une aide précieuse et vivement utile à tous ceux qui sont pris aux pièges de leurs propres défenses psychiques et de leurs blessures biographiques. Si on la compare à l’approche rationalisante, et pas nécessairement rationnelle, de la psychiatrie institutionnelle qui neutralise chimiquement ses malades au lieu de les comprendre ou de certaines psychothérapies qui leur enseigne des techniques d’autocontrôle au lieu de les écouter, l’analyse demeure une solution entière, peut-être une des seules capables d’être vécue activement et en profondeur par le sujet. Mais on doit pouvoir reconnaître frontalement ses propres erreurs et son aveuglement ancien ou actuel pour ne pas sacrifier la vérité à ses propres théories. C’est sans doute seulement ainsi que la psychanalyse pourra, avec le concours de nouvelles découvertes, donner le meilleur d’elle-même et partager avec cœur toutes ses avancées techniques pour le bien de tous.

En fait, il faut que la psychanalyse et ses suivants se mettent à l’épreuve de la réalité de l’inceste pour pouvoir devenir pleinement utiles à ses victimes. Il faut que les victimes d’abus trouvent l’écoute qui leur est nécessaire et ne se laissent pas entravées par des pratiques ou des propos aliénants, qu’elles sachent que leur parole est plus importante que les arguments théoriques qu’on leur oppose.

Il y a plus de cent ans, l’une des patientes hystériques du collègue de Freud, le docteur Breuer, a un jour produit d’elle-même le procédé associatif et cathartique de la psychanalyse : en racontant ses souffrances et associations spontanées à son médecin, elle constata avec surprise la disparition progressive de ses symptômes. Le message essentiel qui en demeure est qu’une parole écoutée et partagée appelle la guérison !

Quelques-uns des livres pillés (!) pour cet article :

Balmary, Marie – L’Homme aux statues ou la faute cachée du père – 1979 – Aubier // Bigras, Julien – L’enfant dans le grenier – 1977 – Hachette // Freud, Sigmund – Introduction à la psychanalyse – Payot // Ferenczi, Sandor – Psychanalyse IV – 1982 – Payot // Ferenczi, Sandor – Journal clinique – Payot // Forward Susan – Parents toxiques, comment échapper à leur emprise – 1989 – Stock // Gruyer F., Fadier-Nice M., Sabourin P. – La violence impensable – 1991 – Nathan // Mainguy, Colette – La Juive – 2001 – Stock // Miller, Alice – La connaissance Interdite – 1990 – Aubier // Miller, Alice – C’est pour ton Bien – 1984 – Aubier // Miller, Alice – La souffrance muette de l’enfant – Aubier // Thomas, Eva – Le viol du silence – 1986 – Aubier.

* Vincent Caux, psychologue; Membre de l’Association de Prévention, de Responsabilisation, d’Information et de Lutte contre les Violences (APRIL’V) ; Membre de l’Association « Le monde à travers un regard » ; Membre de l’Association Française de Thérapies Cognitives et Comportementales (AFTCC). Thérapeute spécialisé en psycho-traumatologie. Ancien animateur de groupes de responsabilisation destinés aux auteurs de violences conjugales (Espérer 95 – Pontoise).

Source Regard conscient

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